On était au début du siècle dernier. Alors que Bruxelles de Brel «brusselait», Alger se mettait aussi au temps du cinéma muet. Alors que toutes les salles d'Europe et d'Amérique projetaient encore L'arroseur arrosé, le premier film de l'histoire du cinéma, Alger devait se mettre à la page. On est au début du siècle dernier et bien avant l'arrivée du cinéma parlant, un certain Joseph Seiberras avait pensé au bruitage et à la musique pour animer les films qu'il projetait dans sa salle située au plateau Saulière à Bab El Oued. C'était en 1913 ; Seiberras qui possédait cette première salle de spectacle de 200 places allait être derrière la construction de plusieurs salles en Algérien notamment l'immense Majestic qui deviendra l'Atlas après l'indépendance. En effet, le directeur de cette petite salle de cinéma qui était tout le temps archicomble avait eu l'idée de demander à l'orchestre qui s'y produisait d'accompagner les scènes du film en musique et à son employé Otto de frapper fort son tambour quand il y avait des tirs de fusil ou de canon. Après avoir acquis une salle au boulevard Bru (Bd des martyrs), Seiberras fera construire dès les années 1920, Le Variétés et le Montpensier toujours à Bab El Oued) et achètera le Régent en 1922 pour le rénover et en faire une salle luxueuse. Une des plus grandes salles du monde Seiberras a construit plusieurs salles à Alger, Oran et au Maroc mais sa plus grande œuvre reste Le Majestic qui sera inauguré en 1930. Cette immense salle qui pouvait accueillir jusqu'à 4000 spectateurs était l'une des dix plus grandes salles du monde. 400 artistes pouvaient monter en même temps sur la scène dotée d'un système de séparation avec la salle en cas d'incendie. Seiberras qui deviendra producteur et distributeur organisera même des projections en plein air dans des villes du sud du pays. Cet homme du cinéma aurait inspiré des algériens qui devinrent eux-mêmes importateurs et distributeurs de films, notamment Mensali (le père de Anissa, l'avocate devenue épouse du président Boumediene) qui sera le propriétaire de la salle Dounyazad et dont le gérant était Tewfik El Madani. Pour rappel, Le Dounyazad serait la seule salle de cinéma qui n'avait pas été touchée par la nationalisation. Dans les années 1960, toutes les villes d'Algérie étaient dotées de salles de cinéma. A Médéa, il y en avait quatre dont Guemrazed et Le Mondial, alors qu'aujourd'hui, il n'en reste aucune. A Blida, il y avait pas moins de neuf salles et les anciens Blidéens se souviennent bien du Miami, du Colisée et du Capitole. La ville ne compterait aujourd'hui plus qu'une ou deux salles. A Oran, Constantine, Skikda, Collo et Laghouat, il y avait encore de belles salles de cinéma à la fin des années 1970. Enfants, jeunes et moins jeunes allaient au cinéma. Le muet qui nous parlait A Alger, on se souvient même de ces salles de cinéma qui se spécialisaient dans la programmation des films et même de l'accueil d'une certaine catégorie de cinéphiles. Il y avait en effet des salles qui programmaient à longueur d'année, des films westerns, hindous ou égyptiens. Il y avait également des salles telles que Le Français ou le Debussy où les couples se sentaient plus à l'aise. Le Debussy a été restauré mais n'a pas retrouvé son lustre d'antan alors que Le Français est toujours dans un état lamentable, tout comme Le Marignan de Bab El Oued. Il n'y a pratiquement que la salle L'Afrique qui a été restaurée, inaugurée et ouverte au public. Depuis quelque temps, il y a un petit retour vers les quelques salles telles que Ibn Khaldoun ou celles de Riadh El Feth, mais ce n'est pas encore la ruée d'autrefois. On devrait penser à la construction de Multiplex. On devrait se mettre à la page comme on l'avait fait au début du siècle dernier. On devrait aussi penser à habituer les écoliers au cinéma et relancer les projections à l'école comme autrefois lorsqu'on programmait des films de Charlot et Buster Keaton. On devrait revoir ces beaux films muets qui savaient nous parler et nous pousser à nous mettre à la page.