Mouloud Achour, qui a préfacé l'ouvrage de Saâdia Azzouz Talbi, paru aux éditions Dahleb, informe d'emblée que cette saga emprunte les chemins de l'univers social si prisé par Mouloud Feraoun. Le maître de Tala, livre ouvert sur la vie en live, raconte avec panache le destin peu enclin d'un instituteur dans un bourg de Kabylie en proie à ses problèmes du quotidien, à ses inquiétudes et à ses espérances. Loin de pasticher Le fils du pauvre, Saâdia Azzoug Talbi, dans son originale variante, nous plonge dans les profonds rets de la misère du début du XXe siècle exacerbée par une colonisation mortifiante et rampante.L'auteure, politologue, dissèque avec objectivité cette société d'une grande précarité de ce début de siècle avec les prémices de la Première Guerre mondiale, l'entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale, lestée à tous les événements économiques de cette période. Comme un conte, Saâdia Azzouz Talbi nous emmène dans les paysages de Kabylie, contrée où les mœurs sont ancrées et chevillées dans l'inconscient collectif. Dans ce bourg à la précarité sociale flagrante de tous les villageois, les histoires des familles se tissent et se défont au gré des faits historiques. La dure réalité Amar, le lettré, qui a fait une incursion dans la capitale pour ses études, connaît les bienfaits de la vie citadine moins âpre que celle de la campagne. Diplôme en poche, il devient instituteur dans son village travaillant dur pour un petit pécule. Cette réalité dure est bien relatée par l'écrivaine qui ne manque pas de souligner au passage que les lettrés de cette époque n'accèdent pas au poste de directeur d'école. Amar, le personnage principal, est tout droit sorti de la comédie humaine. La Kabylie n'a rien d'une carte postale dans ce récit. L'auteur distille une touche de sympathie constante qui s'adresse à ces personnages embarqués dans leur odyssée sans issue. Cette histoire questionne avec délicatesse sur les mécanismes de survie qui se mettent en place chez le colonisé, elle interpelle sur les méfaits de la colonisation avec son lot d'horreurs et d'injustices avec tout un arsenal juridique comme le sénatus-consulte et l'infâme code de l'indigénat. Des clins d'œil sont faits au maraboutisme et à la situation de sous-hommes de ces colonisés. C'est une épopée d'une terrifiante humanité. Sur fond d'actualité coloniale, l'auteure mêle le destin de ces personnages dans une époque coloniale où l'injustice et la paupérisation les disputent à la platitude de la vie de ces pauvres hères qui se démènent pour donner un sens à leur vie et garder leur dignité. Ce récit est tendu dans les règles de l'art qui porte l'injustice à ébullition. L'inégalité des chances est à son paroxysme. Un beau livre qui se lit aisément tant par la maîtrise d'une plume d'une grande fluidité que par un souffle intense qui donne au récit vigueur et force. Prenant et captivant, comme un conte enchanteur, sans l'effarante réalité.