hronique d'une violence ordinaire. C'est à cette formule moralement inadmissible mais ô combien réelle de Pierre Desproges, que l'on a pensé quand on a appris le crime contre l'intelligence dont a été victime l'universitaire Karoui Bachir Serhan. Que les choses soient bien claires : le propos ici n'est pas de pinailler sur les mobiles de cet horrible crime. Retenons deux vérités : il y a eu assassinat d'un enseignant et par deux étudiants. Cela suffit à notre malheur à tous. Au-delà de l'immense douleur qu'a provoquée la mort de ce jeune docteur et l'onde de choc de ce forfait, c'est le triste sort de l'université algérienne qui interpelle les consciences. Autrefois matrice de l'intelligence et de la compétence, elle en arrive aujourd'hui à fabriquer des têtes mal faites et désormais des esprits criminels. Cet abrutissement de l'université algérienne est l'un des symptômes d'une société malade qui a du mal à dépasser son choc traumatique. Un signal d'alarme face à la dangerosité de la situation tant cette institution censée répandre savoir et lumières, est elle aussi contaminée par le virus de la violence sociale en général. Il y a une telle banalisation de ce phénomène en Algérie qu'on en ressent de la peur au ventre. Il n'y a plus de secteurs de la vie nationale qui soit hors d'atteinte. L'Université et ses enseignants sont touchés. Gravement. Et c'est tout notre système de valeurs, construit à force d'épreuves, qui s'écroule devant les coups de boutoir de la bêtise humaine. La mort de Karoui Bachir Serhan ne doit pas être casée dans la rubrique des pertes et profits. Tout comme les supplices et les humiliations subis par les enseignants à Msila, Batna, Sidi Bel-Abbès, Laghouat ou à Ouargla. On ne peut plus attendre. Les autorités ne doivent plus continuer à estampiller tous ces horribles faits divers du sceau du «normal». Non, ce n'est pas normal qu'on agresse, qu'on humilie et qu'on tue un enseignant universitaire. C'est plutôt un signe de délitement social et de déliquescence des autorités ainsi prises en flagrant délit d'inaction et de non-réaction. Le ministre de l'Enseignement supérieur croit s'être tiré d'affaire en expliquant que le crime s'était déroulé en dehors de l'université. Voilà donc l'art de se défausser. Mais alors, et le malheureux enseignant de Msila qui a été envoyé au coma par ses propres étudiants dans l'enceinte même de son cam- pus ? Pourquoi a-t-il été contraint de pardonner à ses voyous agresseurs après qu'ils aient été déjà exclus par le conseil de discipline ? Non, Monsieur le ministre, l'affaire est trop grave pour qu'elle soit traitée avec autant de légèreté. Pour nettement moins que cela, vos homologues d'autres pays où la vie d'un Homme a un sens, ont été débarqués et même poursuivis. Tous les Algériens savent que l'université est devenue un milieu peu fréquentable et peu recommandable pour des gens qui cultivent l'excellence. C'est un lieu qui produit, ironie du sort, de la corruption morale en quantité industrielle avec des faux bacheliers, des faux licenciés et des faux douktours… Cette faillite intellectuelle a été rendue possible par la conjonction de trois «forces» qui tirent l'université vers le bas. Il y a d'abord ces organisations estudiantines rentières qui écument les campus et les cités U. Il y a ensuite les rectorats et les administrations qui encadrent la corruption, avec l'aide de quelques enseignants véreux qui assurent la couverture «scientifique» aux procédés antipédagogiques. Dans cette sulfureuse alliance triangulaire où l'argent coule à flots et où les mœurs sont très légères, la mort n'est jamais loin. Doit-on s'étonner tout compte fait de ces crimes alors même que nous savons tous que l'université algérienne, avec ses sous, ses dessous, son niveau, et sa gestion, est un incubateur de violence ? Au lieu de rayonner par ses performances, elle irradie l'Algérie et le monde de ses ondes négatives. C'est une université underground que ne fréquentent pas les rejetons de la jetset, ces fils à papa qui, eux, peuvent s'offrir les meilleurs campus à l'étranger. Quant aux Algériens d'en bas, ils savent désormais que le BAC est un visa mais pas forcément pour l'avenir. Que la violence atteigne l'université est signe que la coupe est pleine. A Dieu ne plaise.