Un constat que n'importe qui peut faire tous les jours, pendant les jours ouvrables comme ceux non ouvrables, renseigne sur la perte apparemment irrémédiable du sens du travail en Algérie. Ce n'est plus une valeur cotée dans l'esprit des générations actuelles, comme il le fut pour celles d'avant la rente. La semaine à venir risque de voir pousser le dédain du travail productif jusqu'à sa caricature ultime, puisque tout bonnement, elle sera une semaine complètement chômée par la grâce d'un nouveau week-end, ambigu pour le moins, d'une conjoncture religieuse inattendue, soient l'incertitude du calendrier sur la nuit du doute et, donc, de l'Aïd intervenant en pleine semaine ouvrable, mais surtout, l'insouciance et, il faut bien le dire, le «je-m'en-foutisme» de plus en plus avéré des nationaux à l'égard du travail. Déjà toutes les voies les menant au bercail d'origine sont bondées, et il ne faut pas être grand clerc pour prévoir que pour beaucoup, les vacances, sous prétexte religieux, vont durer toute la semaine. Finalement, quand est-ce que c'est le week-end ? Si l'on ne veut pas tourner autour du pot, à l'origine cette situation découle de l'introduction du nouveau week-end, à n'en pas douter. Non pas en sa nature même, mais dans son application. Tout le monde avait cru comprendre, lorsqu'il a été annoncé, que le changement du repos hebdomadaire ne consistait qu'en un simple décalage de 24 heures, et que, par conséquent, il allait s'étaler du vendredi après-midi au samedi toute la journée. Or, voilà qu'à l'application, le vendredi est déclaré, en dehors même du texte fixant le week-end nouveau, et pour des considérations multiples, car chaque secteur socioéconomique a réagi comme entité autonome, comme journée entière de repos. Du coup, c'est la désorganisation totale du temps de travail, pour ne pas dire (n'ayons pas peur des mots) l'anarchie complète, ou plutôt l'organisation de l'anarchie. Il est peu probable que celle-ci cesse de sitôt, tant il semble évident qu'elle n'est que le reflet de tiraillements sévères en haut lieu. Science et tradition sont-elles incompatibles ? Au même titre que dans d'autres domaines, et, à plus forte raison dans la sphère religieuse victime d'une surenchère intéressée, l'Algérie s'arc-boute sur le traditionalisme le plus contestable. N'importe quel citoyen ayant un minimum de connaissances modernes vous dira que le progrès scientifique permet de calculer avec une extrême précision la naissance du croissant lunaire, et donc fixer le jour de l'Aïd. Mais, c'est débat qui dure depuis des années, et il a toujours tourné dans la pratique en faveur des dogmatiques. Il en sera donc de même cette année. Aucune illusion à se faire. Ce ne serait pas faire preuve de cynisme que de proposer que ce titre d'une chanson du défunt Henri Salvador soit adopté comme slogan pour enterrer définitivement la valeur du travail dans un pays où le moindre prétexte est saisi au vol pour déserter l'usine, le champ ou le bureau. Alors, quand de surcroît le justificatif est d'ordre religieux, par ces temps de bigoterie tatillonne, à l'opposé d'ailleurs de la foi sereine et généreuse, on fuit les lieux de travail avec une complète bonne conscience. L'espoir réside qu'après l'Aïd d'une semaine vide annoncée, pouvoir, institutions et, pour une fois, dire surtout les citoyens se mettent à réfléchir et à prendre conscience que toute société qui progresse a comme valeur de base le travail, qu'elle honore comme concept et comme pratique. Et non la rente, dont les milliards sont des cadeaux empoisonnés pour les générations futures…