Sur les quais du port de Bouharoun, dont les routes d'accès sont éventrées et peu carrossables, nous découvrons une grande activité. L'air est rempli de senteurs de la mer dégagées par les chalutiers et les multiples revendeurs à l'étalage achalandant plusieurs espèces de poisson exposées d'une manière hétéroclite mais également par les restes de poissons pourris jetés çà et là. Tandis que des pêcheurs s'attellent au nettoyage des filets, la nuée de restaurants situés en face des quais laisse échapper des odeurs appétissantes de grillades de poisson, attirant les clients en grand nombre. Les prix affichés varient selon le climat et la fréquence des sorties en haute mer des chalutiers et sardiniers qui, de tous temps, sont attendus par les revendeurs à l'affût sur le quai en compagnie du mandataire chargé de comptabiliser et de fixer les prix du poisson pêché. Devant le portail, des hippocampes séchés et vernis sont vendus à 200 DA pièce. «Ils portent bonheur», appâte le revendeur en s'adressant aux automobilistes. Les prix du poisson ne cessent de grimper. Ce phénomène récurrent est dû à la combinaison d'une multitude de raisons et de facteurs. Le climat, premier facteur naturel, le mercantilisme de certains grossistes et intermédiaires, et les insuffisances dénoncées par certains professionnels (mauvaise prise en charge des jeunes professionnels qui font face à la cherté et la rareté des matériaux et autres outils nécessaires), en sont les principaux facteurs inhérents à la mercuriale. Autrement dit, «lorsque la mer est démontée, les quelques quantités de poisson pêché par ceux qui prennent le risque de braver le danger de la mer sont revendues à des prix relativement élevés», nous confie un pêcheur faisant allusion à une mauvaise sinon inexistante régulation du marché et qui nous apprend, par ailleurs que «la plupart de ses pairs ne possèdent que le fascicule leur permettant de s'adonner à la pratique de la pêche», expliquant que «certains responsables au niveau de la chambre algérienne de la pêche tentent de nous doter d'un contrat de travail qui nous permettra une meilleure protection sociale». En ce sens, M. Louma Fouad, président de la commission relevant de la chambre nationale de la pêche et de l'aquaculture, dira que «de nombreuses propositions ont été faites à la tutelle dans la perspective de réorganiser les activités et aux fins d'offrir plus de protection aux pêcheurs professionnels». Pour revenir au prix du poisson et à la voltige dont il fait l'objet, en définitive, les aléas climatiques en sont les principaux facteurs. «Quand la pêche est mauvaise, les prix prennent leur envolée», explique le même pêcheur qui, par ailleurs, indique que «certains intermédiaires avides de gains faciles se permettent d'accaparer de grandes quantités qu'ils stockent en chambres froides pour les revendre aux détaillants les jours de disette». Le port de Bouharoun, que nous avons pris pour exemple dans ce reportage, nous offre de substantielles réponses à la question majeure de savoir pourquoi les prix du poisson sont inabordables par les bourses moyennes. Au vu des prix exorbitants affichés par les revendeurs, certaines familles n'ont pas droit au ratio nutritionnel fourni par le poisson et se voient contraintes de se contenter des sardines dont le prix ne cesse d'osciller. Du fait que les chalutiers étaient à l'arrêt durant trois jours pour cause de mauvais temps, la sardine est proposée à 150 DA. «Le prix de la sardine que nous achetons auprès des mandataires qui fixent le prix varie selon l'envergure de la pêche et les calculs de ces derniers», explique un revendeur indiquant que «parfois ce produit peut chuter jusqu'à 100 ou 80 DA». Lors de cette virée à travers les quais du port, le plus bas prix affiché est de 500 DA. Ainsi, le pageot et le pagre sont proposés à 500 et 600 DA, la bonite à 300 DA, le thon à 500 DA, de même que le sar et le limon et le petit rouget de roche. Les fruits de mer (écrevisses, langoustes et autres crustacés) sont proposés à des prix non abordables par les bourses moyennes. Ils sont offerts à des prix ondulant entre 800 et 1200 DA le kilogramme. Bien entendu, ces variétés sont très prisées par les restaurateurs qui, en les proposant à leurs clients en petites quantités dans les plats, arrivent à amortir le coût de leurs achats et même faire des bénéfices hallucinants. De la sardine importée ! Sur les lieux du port et afin de connaître les raisons à l'origine de la hausse du prix de la sardine, élément nutritionnel essentiel pour toutes les espèces marines, nous avons recueilli une multitude de réponses mais la plus stupéfiante a été fournie par un pêcheur en colère. «Je me demande pourquoi des responsables que nous ne pouvons identifier ont importé des sardines de Tunisie», s'interroge-t-il avant de relancer : «C'est tout simplement pour gagner de l'argent» car, devait-il ajouter, «des personnes ayant des accointances en haut lieu se sont permises de revendre celles-ci à pas moins de 120 DA le kilogramme c'est ce qui explique le prix de 170 DA affiché». Il expliqua que durant cette période de «revente de la sardine importée de Tunisie, les chalutiers et sardiniers étaient cloués au port pour des raisons que nous n'avons pas encore comprises», s'indigne ce quinquagénaire qui fulmina : «Cette période nous a porté préjudice car nous étions forcés de nous adonner à des activités autres que la pêche pour gagner notre journée.» En outre, certains grossistes de poisson et de sardines se sont livrés à des pratiques fallacieuses comme revendre du poisson congelé à la place du poisson frais. «Ce n'est pas nous qui sommes à l'origine de cette pratique car nous vendons ce que ces personnes nous vendent», nous lance un revendeur qui s'insurge contre les accusations émises par une journaliste arabophone qui leur a fait porter le chapeau tout en faisant fi de son devoir de dénoncer les véritables auteurs. «Lorsque la mer est déchaînée et que les chalutiers et sardiniers restent en quai, nous sommes obligés de prendre le poisson qu'ils nous offrent et, partant, nous ne pouvons dire à tous les clients que ces produits sont congelés car, au vu du prix (100 à 120 DA le kg), nous sommes obligés de taire cela», argumente un groupe de jeunes vendeurs assis sous un parasol. Un peu plus loin, des pieuvres et poulpes sont proposés à 200 DA tandis que les calamars et autres mollusques sont offerts entre 250 et 350 DA. L'interminable attente Dès leur approche du port, les potentiels acheteurs de cageots de sardines s'impatientent. Regroupés par dizaines, ils se bousculent. D'autres plus malins se rapprochent du mandataire en charge de fixer le prix du poisson. Entouré par un nuage de sternes, de rieuses ou de mouettes, le bateau approche inexorablement et à faible vitesse vers le quai. Les acheteurs s'impatientent tandis que le bateau manœuvre pour amarrer. A peine la passerelle jetée, des petits adolescents, sachets en main, sautent sur le bateau pour ramasser les quelques poissons tombés des filets. «C'est des jeunes qui viennent tous les jours et eu égard à la situation de leur famille nous leurs permettons de ramasser quelques poissons ou quelques kilogrammes de sardines qu'ils rapportent à leurs parents», nous informe un membre de l'équipage faisant montre d'une grande générosité. Les quelques dizaines de cageots de sardines sont débarqués par des matelots sur le quai sous le regard du mandataire, lequel fait l'objet d'une très grande convoitise de la part de certains de ses amis. Quelques cageots sont enlevés en catimini par des particuliers et aussitôt une altercation éclate. On reproche au mandataire de faire dans le favoritisme. La prise de bec est très vite arrêtée. On ose une question au mandataire pour connaître le prix de la sardine, en vain. Nous comprenons son refus à la vue de la prise d'assaut entreprise par les acheteurs qui se bousculent. C'est un acheteur qui nous informe que «le cageot de 25 kg est acheté à raison de 100 DA le kg». Il nous expliqua que «la sardine sera revendue à 150 DA car sur les 50 DA de bénéfice, il faut soustraire 20 DA pour le transport». Sur un autre quai où doit amarrer un autre bateau qui pointe à l'horizon, le même scénario se répète. «Pourvu qu'ils nous rapportent de la sardine et non de la latcha (grosse sardine moins prisée que la petite sardine)», espère un jeune qui, résigné, lance, «cette année, rares sont les sardiniers qui ont pêché la vraie sardine». Nous quittons le port non sans faire une halte au poste de police pour récupérer nos documents.