Au royaume du Maroc, la liberté de la presse vit, ces derniers mois, une période difficile marquée par des arrestations de journalistes, des jugements sévères contre eux, faits de peines de prison et d'amendes mettant en péril le devenir des publications. Il a fallu que certains journaux dévient de la ligne de conduite sacrée tracée par le régime liberticide de Rabat pour que cette avalanche de répression s'abatte sur eux. En réalité, dans ce pays, il n'y a jamais eu de liberté d'expression et presse, et encore moins de liberté d'associations au sens universel du terme. Aussi bien les médias que les partis politiques et les associations, tous doivent respecter à la lettre les règles fixées par le Makhzen pour pouvoir activer. Trois constantes nationales considérées comme sacrées ne doivent en aucun cas être critiquées, et dans le cas contraire, bonjour la répression. D'abord le souverain, ensuite la patrie et enfin «l'intégrité territoriale». Pour cette dernière, il comprendre la marocanité du Sahara occidental. Il y a bien un ou deux journalistes marocains qui ont eu le courage de ne pas aller dans le sens de la thèse officielle. Ils ont subi non seulement les foudres des autorités politiques, policières et juridiques marocaines, mais aussi des partis politiques, des ONG de service, mais aussi des médias. On se souvient des misères du journaliste franco-marocain Ali Lembarek, il y a trois ans, lorsqu'il a osé faire parler des dirigeants du Front Polisario dans son journal. Non seulement il a été traduit en justice, mais interdit d'écrire dans son pays. Ce journaliste a subi les foudres de ses confrères marocains, notamment ceux regroupés dans le syndicat de la corporation. Ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, subissent les foudres du régime pour avoir outrepassé les règles bien établies. Au Maroc, le monde entier vient d'apprendre qu'il était absolument interdit de faire un sondage sur la gouvernance de Dieu le roi, fût-il pour dire qu'elle est extrêmement positive. L'un des médias marocains l'a appris à ses dépens. Au Maroc, il est également impensable de caricaturer le roi et les membres de la famille royale. Des journaux viennent de faire les frais de cette ruade dans les brancards. Autre interdit, ne jamais écrire sur l'affaire Ben Barka, autrement que de critiquer les magistrats et médias étrangers qui en parlent. Dans les bonnes grâces Pour beaucoup de médias marocains, cette affaire n'existe pas, et suivant la voix de leurs maîtres, ils n'en parlent même pas. Au Maroc, pour être dans les bonnes grâces du seigneur, il faut quotidiennement, et périodiquement pour tous les médias, fustiger «les séparatistes» du Front Polisario, ces «ennemis» de l'intégrité territoriale du Maroc, parfois qualifiés de «tortionnaires» contre «les séquestrés» des camps de Tindouf. Pour être également dans le politiquement correct, il est conseillé de ne pas ménager l'Algérie jugée comme le voisin qui a «préfabriqué» le conflit sahraoui. Non seulement les médias du royaume tombent régulièrement à bras raccourcis sur Alger et les médias algériens, à cause du soutien au peuple sahraoui occupé depuis 35 ans, contre la légalité internationale, mais il est conseillé de ne reproduire sur le voisin de l'Est que les informations négatives. Les médias marocains sur cette question suivent aveuglément la ligne royale de l'agence de presse officielle marocaine, l'inénarrable MAP. Au Maroc, la population souffre de beaucoup de maux sociaux. La misère et la pauvreté frappent depuis des décennies de larges couches de la population réduites à tous les trafics et à toutes les débrouilles pour survivre. Pendant ce temps, une minorité proche du Palais vit dans l'ostentation, et des étrangers, notamment des pontes français, se gargarisent des richesses de ce pays et de celles du peuple sahraoui voué à l'exil, et pour la partie restée dans les territoires occupés dans la répression quotidienne et les privations. A aucun moment, les lecteurs marocains de ces médias locaux n'évoquent ces sujets. A aucun moment, ils ne parlent du tourisme sexuel qui s'est installé ouvertement dans le royaume depuis les années 1950. Les journalistes marocains qui louent la liberté d'expression décidée depuis la venue au palais de Mohammed VI, parait-il, c'est-à-dire depuis qu'il a été permis à des privés de créer des journaux, se mettent, du coup, pour certains, à sortir de leurs illusions. Et que font les soi-disant défenseurs de cette liberté au moment où certains de leurs confrères sont mis au banc des accusés ? Rien, sinon qu'ils se taisent, du moins qu'ils jugent «illégales» les mesures prises contre ces confrères par le pouvoir politico-judiciaire. Partout dans le monde, la diffamation est passible des tribunaux. Au Maroc, écrire sur le roi même en faisant un bilan positif de son règne est un sacrilège. Les autorités jugent que le bilan du roi est sacré, et par conséquent personne n'a le droit de le juger sous quelque forme que ce soit. Au Maroc, il n'y a pas de démocratie. Il y a un pluralisme politique, syndical, associatif et médiatique… au singulier. Les médias marocains, qui sont aujourd'hui cloués au pilori par un régime liberticide, sont ceux-là mêmes qui se sont ligués comme un seul homme contre le dernier rapport de l'ONG américaine Human Rights Watch sur la liberté de créer des associations. Ce document affirme que «les représentants locaux du ministère (marocain) de l'Intérieur refusent souvent la déclaration d'enregistrement d'une association lorsque ses objectifs ou ses membres déplaisent aux autorités. Aux termes de la loi marocaine, les nouvelles associations prennent naissance simplement en déclarant leur existence aux autorités locales, sans avoir besoin d'obtenir une autorisation préalable. La loi oblige les fonctionnaires à accepter les déclarations déposées par les associations». Cette réalité est connue de tous les Marocains, et encore plus des médias de ce pays. Pourtant, ces derniers, sous la dictée du ministre de l'Intérieur, ont traité l'ONG de tous les noms d'oiseaux. Ils le font régulièrement avec d'autres ONG de défense des droits de l'homme, qui épinglent à raison le régime marocain sur ses pratiques liberticides. La dernière affaire des sept militants sahraouis venus dans les camps de Tindouf rendre visite à leur famille et faire état des violations constantes des droits de l'homme au Sahara occidental et dans le royaume est un des parangons de «l'échine courbée» des médias locaux. Ces militants, aujourd'hui séquestrés, parce qu'ils ont eu le courage de revenir au Maroc puis chez eux au Sahara occidental, ont été traînés dans la vase par les journaux marocains, y compris ceux qui font l'objet de mise à mort. Où est donc cette liberté d'expression dont on se gargarise tant dans ce pays fermé à toutes les voix discordantes ? RSF au secours du palais Lorsque Reporters sans frontières (RSF), par la voix de son président, le Français Jean-François Julliard, se déplace au Maroc pour soi-disant apporter son soutien aux journalistes traînés devant les tribunaux, parle de «vraie dégradation de la liberté de la presse au Maroc», il sous-entend que la liberté était en vigueur. Dans sa déclaration lénifiante, selon laquelle «on a récemment rendu public notre classement mondial de la liberté de la presse et le Maroc figure en 127e position sur 175. C'est mieux que les pays voisins mais cela place le Maroc dans une position qui n'est pas digne d'un Etat démocratique», il lance un appel du pied aux dirigeants du royaume. Pourtant, lui-même reconnaît que son désir de rencontrer le ministre marocain de la Communication, Khalid Naciri, pour évoquer cette situation n'a pas eu de suite. Julliard, faute d'avoir réussi à «l'avocat des pauvres», menace les autorités de saisir… la secrétaire d'Etat américaine attendue début novembre à Rabat. Il aurait pu saisir le roi ou à défaut le président Sarkozy dont il représente le pays. Le Maroc n'a jamais toléré la liberté d'expression. Et ce n'est ni Obama, ni Clinton, ni Sarkozy, encore moins RSF qui vont changer les pratiques dans ce royaume livré à des hobereaux trop soucieux de leurs privilèges indus. Le peuple marocain en sait quelque chose, lui qui vit depuis 1956 les affres de cette caste d'un autre âge.