A 10h, la piste menant au modeste domicile des Akriche était déjà noire de monde. Il y avait les frères de Abdelfettah, le cadet de la famille tué vendredi soir sur les hauteurs de la ville, ses oncles, ses amis venus de Douaouda, et un nombre incalculable de jeunes issus des différents quartiers de Bou Ismaïl. Vers 12h, une procession de femmes arrive sur les lieux, accompagnées de leurs jeunes enfants. On nous explique que ce sont des familles de Douaouda Marine, où la famille jouit d'un grand respect. La ville est calme. En apparence seulement car, à mesure que les heures s'égrènent, les visiteurs se font de plus en plus nombreux chez la famille de la victime. Et la tension de plus en plus forte, malgré l'apparente quiétude des lieux. Un air de révolte plane sur tous les quartiers environnants. De La Carrière à Haï Ellouze, en passant par «Zenqat Laârab» et la rue Emir Abdelkader, des groupes de jeunes se font visibles à tous les endroits. Sur les bordures de trottoirs et de magasins, aux carrefours et dans les artères de la haute ville, où se concentre une indescriptible misère, ils discutent des escarmouches de la veille et de la mort atroce de Abdelfettah, un garçon dont tout le monde loue les mérites. Pratiquement, tous les commerces ont baissé rideau. En ville, près du commissariat de police, peu de gens circulent de crainte d'être pris entre deux feux. «Les martyrs ne meurent pas» 15h30. La dépouille mortelle arrive enfin. La maison des Akriche est investie par des centaines de jeunes. Après un dernier regard de la famille sur la victime, on fit sortir le corps dans un brancard. Aux cris d'Allah Akbar, «les martyrs ne meurent pas», les porteurs se dirigent vers un fourgon. Les jeunes protestent : «Nous le porterons sur nos épaules, nous irons à pied au cimetière.» La procession s'ébranle, presque au pas de course, à travers les ruelles étroites de La Carrière. La foule, immense, grossit à chaque détour de rue, à chaque carrefour. Elle emprunte des raccourcis à travers un dédale de constructions inachevées et des quartiers misérables. Les quatre kilomètres séparant le domicile mortuaire de la mosquée surplombant le cimetière de Bou Ismaïl, situé à l'autre extrémité de la ville, sont avalés en moins d'une heure. Après la prière, on procède à l'inhumation de la dépouille. Djilali, le jeune frère de la victime, n'a pas arrêté de pleurer depuis la mort de Abdelfettah. Simple d'esprit, le jeune homme de 22 ans crie à tue-tête qu'il veut être enterré à côté de son frère. Dans la foule, les jeunes ruminent leur vengeance. «Ce soir, ils ne dormiront pas.» Le gérant d'un cybercafé nous révèle qu'ils (les jeunes) ont préparé une quantité impressionnante de cocktails Molotov. «Cette nuit, ce sera l'enfer», conclut-il. Il ne croit pas si bien dire : en plus des forces de police, plusieurs unités antiémeutes de la Gendarmerie nationale ont été dépêchées sur les lieux. Elles occupent tous les accès menant à cette gigantesque agglomération côtière de la côte ouest.