Ils souffrent en silence. Ils sont condamnés à vivre avec leur maladie et une grande proportion d'entre eux porte des séquelles orthopédiques. Les hémophiles, en mesure de mener une vie avec beaucoup moins de souffrance en bénéficiant d'une prise en charge adéquate et d'un traitement prophylactique à même de prévenir le développent de la maladie et éviter notamment des hémorragies mortelles, sont ignorés par le ministère de la Santé et «détestés» par les structures sanitaires qui leur rappellent, à chaque fois, que leur traitement «coûte cher». Néanmoins, les hémophiles gardent espoir pour que leur cas soit considéré. Rencontrée à Béjaïa, à l'occasion de la célébration de la Journée mondiale de l'hémophilie, Latifa Lemhene, présidente de l'Association nationale des hémophiles, a bien voulu nous parler de ces malades qui veulent vivre «normalement»… avec une seule condition, une meilleure prise en charge qu'ils réclament depuis… Le Temps d'Algérie : Présentez-nous votre association... Latifa Lemhene : L'Association algérienne des hémophiles existe depuis 1989. Nous avons renouvelé le bureau national en 2007. Des actions ont été réalisées depuis et dont la première a concerné le recensement des hémophiles qui sont actuellement au nombre de 3500. En 2007, notre association était composée de 9 associations de wilaya, élargie à 12 en 2008, 19 en 2009 et 24 en 2010. D'autres associations locales seront lancées cette année à Sétif, Tiaret et Tébessa. Nous incitons les malades des wilayas à créer leur association locale. Notre mission principale est d'assurer une disponibilité permanente des médicaments aux malades. Nous assurons l'éducation sanitaire aux parents, notamment les nouveaux couples, et nous les formons pour mieux prendre en charge leurs enfants. Nous orientons également les parents et nous essayons de les rassurer lorsqu'ils apprennent la maladie de leurs enfants. Nous élaborons aussi des guides et des programmes d'éducation sanitaire. Grâce à ces actions, les mamans ont appris à administrer les traitements à leurs enfants à domicile. Un programme national est prévu par le ministère de la Santé. Qu'elles sont vos attentes ? Le programme national mettra un terme au nomadisme des malades des wilayas qui ne disposent pas de centre hospitalo-universitaire. Certains malades se déplacent d'une wilaya à l'autre pour se faire soigner. A titre illustratif, un malade de Tébessa a dû prendre un rendez-vous chez un dentiste à Constantine pour des soins dentaires. Nous vivons le nomadisme sous toutes ses formes. Les 106 malades de Béjaïa ne sont pris en charge que par un seul hématologue. Pis, au Sud, la situation est encore plus critique puisqu'un seul médecin s'occupe des malades de Béchar, Ouargla et Djelfa. Certains enfants âgés entre six et huit ans sont déjà handicapés, car ils n'ont pas eu la prise en charge adéquate. La pénurie de médicaments a duré plusieurs années, et ce n'est qu'en 2007 que le médicament a commencé à être disponible. Nous avons connu des périodes où la pénurie a duré jusqu'à six mois. en 2010, elle était de quatre mois (d'avril à juillet). En cas de pénurie, les malades étaient traités avec du plasma frais congelé (PFC) qui a causé parfois des hépatites aux malades déjà pénalisés par leur maladie. Nous plaidons pour que les malades puissent disposer des médicaments à domicile et pratiquer l'automédication sans être obligés de se déplacer, surtout lorsque leur cas est grave (hémorragie). Nous revendiquons que le traitement prophylactique (de prévention) soit généralisé à tous les enfants atteints afin de leur éviter les hémarthroses, les risques hémorragiques et les impotences fonctionnelles suite à la destruction des articulations. Dans certaines wilayas, ce traitement est garanti aux enfants tandis que dans d'autres il n'est pas évident. La prophylaxie évitera aux enfants de s'absenter de l'école et de vivre normalement comme leurs pairs. Nous espérons aussi que des centres régionaux d'hémophilie comptant des équipes pluridisciplinaires soient créés à travers le pays. Des formations au profit des médecins spécialistes et des personnels du corps médical chargé de la prise en charge des hémophiles sont également souhaitées.
Les malades sont obligés parfois de parcourir des dizaines de kilomètres pour avoir leur médicament (facteur 8 ou 9). Quelle est l'entrave pour que leur médicament soit disponible au niveau des polycliniques les plus proches de leur domicile ? Certains malades ont eu des saignements et n'ont pas pu avoir le médicament à temps, ce qui leur a provoqué des handicaps à vie. D'autres, en revanche, sont décédés suite à des hémorragies. Un hémophile est décédé récemment à Skikda car le diagnostic n'a pas été fait correctement. Les établissements publics hospitaliers et les établissements publics de santé de proximité (EPSP) sont, pourtant, obligés de disposer d'un stock permanant de médicaments dans leurs services d'hématologie ou de pédiatrie, conformément à une circulaire du ministère de la Santé. Malheureusement, cette circulaire n'a pas été respectée par toutes les structures de santé. Nous plaidons pour la publication d'un texte juridique obligeant les structures d'avoir en permanence les médicaments qui sont vitaux pour les malades. Nous avons recensé actuellement 2600 malades. Parmi eux, il faut compter les hémophiles et les autres personnes atteintes des maladies de la coagulation. La prévalence de l'hémophile est d'une naissance sur 10 000 ou un garçon sur 5000. Proportionnellement à la population, l'Algérie devra compter 3500 hémophiles sans compter les cas qui ne sont pas encore recensés. Dans certaines familles, un seul enfant est identifié et possède une carte d'hémophile alors que les autres ne sont pas déclarés aux autorités sanitaires. Certains hémophiles modérés ne sont découverts que lors des actes chirurgicaux. Ces malades donc ne sont pas recensés dans le registre national des hémophiles.