Une sorte de lutte, à fleuret moucheté, se déroule actuellement, en filigrane de la crise irakienne, entre les membres permanents du Conseil de sécurité. De fait, outre la forte odeur de pétrole que dégagent les menaces américaines contre l'Irak, il y a, en arrière-plan, le sort du Conseil de sécurité qui est en jeu. Ainsi, faisant montre d'un dynamisme rarissime, c'est essentiellement la France qui, -sous le couvert de la prééminence du Conseil de sécurité pour toute décision éventuelle de frappe militaire contre l'Irak-, est montée insensiblement au créneau, le président français, Jacques Chirac, payant même de sa personne pour, dit-il, faire respecter les normes «du droit international». Lois fondatrices de l'ONU et exprimées, dans la pratique, par le Conseil de sécurité. Cela dans la perspective de sauvegarde du droit de chaque Etat de l'abus de pouvoir dont pourrait faire montre d'autres puissances. Le Conseil de sécurité n'a certes pas les prérogatives d'un gouvernement mondial, mais n'en fait pas moins fonction de régulateur des rapports et relations internationaux, basant toutes ses décisions, -inspirées de la Charte de l'ONU-, sur le consensus de ses quinze membres, notamment les cinq détenteurs du droit de veto. C'est cet accord tacite, qui semble aujourd'hui battu en brèche par la prétention des Etats-Unis à se placer au dessus du Conseil de sécurité et d'imposer leur hégémonie sur l'organe exécutif des Nations unies. D'où les enjeux qui entourent aujourd'hui l'éventualité d'une guerre contre l'Irak, qui risque d'induire sur le rôle futur de l'organe exécutif de l'ONU, qui serait alors assujetti à celui de faire-valoir par rapport à la super-puissance américaine qui décidera seule des priorités et des stratégies du Conseil de sécurité. Les zones d'exclusion instaurées par les Etats-Unis au Nord et au Sud de l'Irak, en dehors de toute résolution du Conseil de sécurité, en est un exemple probant. Aussi, la France, la Russie et la Chine sont-elles conscientes qu'une guerre contre l'Irak, décidée par les seuls Etats-Unis, sans l'approbation de l'ONU, constituera un tournant dangereux, pour la paix et la sécurité dans le monde, de sa configuration géostratégique future, et induira également leur marginalisation. En se plaçant au dessus des contingences communes (droit et lois internationaux) appliquées à l'ensemble des Etats, les USA s'octroient d'emblée, et de fait, le rôle dirigeant des affaires du monde, mettant de facto hors jeu les autres détenteurs du droit de veto. Il est clair qu'à travers l'exemple irakien, les Etats-Unis veulent montrer qu'il sont, désormais, seuls maîtres des décisions qui engagent la stabilité internationale. Si les puissances codétentrices du droit de veto ne peuvent s'opposer aujourd'hui à une guerre illégale programmée par Washington, elles savent qu'elles rentreront définitivement dans le rang, laissant le champ libre aux Etats-Unis de décider du sort du monde comme de changer un quelconque régime qui ne leur agrée pas. C'est le pressentiment qu'ont Paris, Moscou et Pékin qui mènent aujourd'hui, de concert, un combat d'arrière-garde pour tenter de faire retrouver au Conseil de sécurité ses prérogatives et valeurs de gardien de la paix et de la sécurité dans le monde, qu'ils ont, d'une manière ou d'une autre, contribué à annuler. Il ne faut pas s'y tromper, pour la presse américaine, -qui écrivait, samedi, que Washington «pourrait accorder plus de temps aux inspecteurs de l'ONU»-, il ne faisait aucun doute que si prolongement du mandat des inspecteurs il y a, la décision sera prise par la Maison-Blanche et nulle part ailleurs, et que l'agitation montrée ici et là est, à tout le moins, vaine. De fait, selon les Américains, le Conseil de sécurité doit se cantonner au rôle d'entériner les décisions que prend, ou prendra à l'avenir, l'administration américaine. Déjà, en 1991, c'est poussé par Washington que le Conseil de sécurité s'est vu contraint d'autoriser une guerre tout à fait illégale, la deuxième guerre du Golfe. C'est contre ce danger de mainmise sur l'ONU, -et singulièrement de leur marginalisation dans les affaires du monde-, qu'agissent et réagissent ces trois puissances permanentes du Conseil de sécurité, exceptée la Grande-Bretagne de Tony Blair qui ne dispose pas de politique étrangère indépendante de celle des Etats-Unis. Quand la France menace d'user de son droit de veto, (fait rarissime, la France usant avec parcimonie de ce privilège), ce n'est certainement pas pour sauver un dictateur honni par son propre peuple, ou les Irakiens soumis depuis une décennie -dans l'indifférence générale-, à un embargo dément et inhumain. La France, comme la Russie et, accessoirement, la Chine, tient à sa parcelle de pouvoir. Le droit international, tel que conçu par la Charte de l'ONU, et son application pour tous... ça se discute.