l'organisation ancestrale des ârchs refait surface et prend en main la contestation d'une région placée sur une poudrière en avril 2001. Le séisme provoqué par l'assassinat de Massinissa Guermah, le 18 avril 2001, dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Beni Douala, menaçait d'entraîner la Kabylie dans un cycle meurtrier de violence. Les animateurs classiques de la scène politique locale (FFS, RCD et MCB) semblaient dépassés par l'ampleur de la révolte. Rien ne pouvait stopper la déferlante des événements qui se sont précipités dans la région. C'est alors que des comités citoyens commençaient à s'organiser. Le 30 avril 2001, des représentants du ârch Ath Djennadh (Aghrib, Fréha, Timizart) lancent un appel pathétique à la population pour réagir face à la répression sanglante qui s'abattait sur la région. Le 5 mai 2001, une première réunion des ârchs de la wilaya de Tizi Ouzou est tenue à Beni Douala. Une semaine plus tard, le 17 mai 2001, 22 comités de villages et de quartiers se réunissent à Illoula Oumalou et donnent naissance à la coordination des ârchs, communes et daïra (Cadc) qui rédigea la première plate-forme de revendications. A Béjaïa, la colère citoyenne avait été prise en charge au départ par un groupe de syndicalistes et d'enseignants universitaires. Ce même groupe allait confectionner une plate-forme de revendications et appeller à une marche populaire pour le 7 mai. L'action allait avoir un retentissant succès, qui encouragea Sadek Akrour et Badredine Djahnine à créer le fameux Comité populaire de la wilaya de Béjaïa (Cpwb). A Tizi Ouzou, l'organisation est régulée selon le schéma traditionnel, à quelques mécanismes près. Entre-temps, la Cadc appelle à une marche noire à Tizi Ouzou pour le 21 mai afin de dénoncer la répression. Ce jour-là, ce mouvement naissant rassemble plus de 500.000 personnes qui défilent dans les rues de Tizi Ouzou. Dans la foulée, des contacts sont entrepris entre les délégués de Tizi Ouzou et Béjaïa et plus tard de Bouira, Boumerdès, Sétif et Bordj Bou-Arréridj. Des contacts qui déboucheront sur une première réunion des représentants des wilayas citées, le 4 juin, à la ville des Genêts. Cette réunion jettera les premiers jalons de la coordination interwilayas des ârchs. Le 7 juin, la coordination interwilayas tient son premier conclave à l'université de Béjaïa, établit sa première plate-forme de revendications composée alors de 21 points. La Cadc récuse cette plate-forme, jugée trop partisane et insiste pour la convocation d'une nouvelle réunion le 11 juin à El-Kseur. A l'issue de ce conclave, une mouture du document qui allait être connu sous l'appellation de plate-forme d'El-Kseur, est adoptée. Ce document composé, à présent, de 15 points, devait être remis à la présidence lors d'une marche populaire à Alger, programmée pour le 14 juin. Ce jour-là, près de deux millions de personnes marchent sur la capitale. Cependant, cette marche historique et grandiose allait tourner à l'émeute et une véritable chasse aux Kabyles est orchestrée par les services de sécurité à Alger. Sorti laminé de cette épreuve, le mouvement se dotera quelque temps après d'un code d'honneur et de principes directeurs devant assurer son indépendance et son autonomie vis-à-vis du pouvoir, des partis politiques et des institutions de l'Etat et s'interdisant toute substitution aux formations politiques et engageant les délégués à ne lier aucun contact avec le pouvoir et à respecter l'horizontalité de l'organisation. Ces deux documents référentiels avaient été discutés lors du conclave d'Azeffoun le 7 juillet 2001 et celui d'Assi-Youcef le 12 juillet avant d'être adoptés une semaine plus tard lors du conclave de l'interwilayas à Béjaïa. Entre-temps, quelques dirigeants du Cpwb sont accusés de volonté de leadership. Le comité populaire éclate alors et cède la place à la coordination intercommunale de Béjaïa (Cicb). Cela dit, les ârchs allaient être confrontés à des tractations menées en secret par certains délégués avec des émissaires du pouvoir à partir du mois d'août 2001. Dans ce climat de suspicion, trois courants apparaissent au sein du mouvement. Les radicaux représentés par Belaïd Abrika et Ali Gherbi, fermés à tout dialogue avec le pouvoir, les dialoguistes menés par Salim Allilouche et les centristes de Bouzguène. Le mouvement se disloque mais tient toujours le haut du pavé de la scène publique le 6 décembre 2001, les délégués «taiwan» tiennent une rencontre avec le Chef du gouvernement, M.Ali Benflis à la salle Ibn Khaldoun à Alger. Ce «simulacre» de dialogue engagé avec les délégués «illégitimes» allait s'avérer, quelque temps plus tard, comme un cuisant échec pour le pouvoir. La contestation et la fronde qui ont repris en Kabylie le feront amplement comprendre aux autorités. Confortés par cet échec qui avait fait capoter une rencontre entre les dialoguistes et le président de la République, les ârchs maintiennent la pression et menacent de compromettre les élections législatives si la plate-forme d'El-Kseur n'est pas satisfaite. Le 12 mars 2002, le Président Bouteflika reconnaît tamazight langue nationale et annonce la délocalisation des brigades de gendarmerie. Ces mesures apaisantes ne feront pas taire le grondement de la rue. Le 25 mars 2002, la répression s'abat sur les délégués. Ainsi, Ali Gherbi, Yazid Kaci et Mustapha Mazouzi sont interpellés et jetés en prison, alors que les autres sont astreints à la clandestinité. Mais cela n'a pas empêché le mouvement de continuer son combat. Toutefois, la population, lasse du cycle fermé action-répression, ne tardait pas à manifester une démobilisation quasi totale par rapport aux actions des ârchs. Certes, cette organisation avait réussi à faire avorter les élections législatives du 30 mai 2002 et municipales du 10 octobre (à quel prix?), mais le reflux patent de la mobilisation est bien visible. Les actions de rue se succédaient sans, pour autant, susciter l'enthousiasme du début des événements. Miné de l'intérieur, sa base effritée et subissant la répression du pouvoir (interdiction de marches et de meetings et incarcération de Belaïd Abrika et autres délégués), le mouvement citoyen met le cap sur de nouvelles perspectives politiques, susceptibles de lui donner un second souffle. Néanmoins, là encore, les ârchs sont confrontés aux tiraillements entre les membres d'une composante politiquement hétéroclite, autour de cette perspective. Les débats sur cette option sont renvoyés au-delà du 20 avril lors du dernier conclave de l'interwilayas, le 28 mars dernier à Yakourène. En attendant, le statu quo est toujours maintenu en Kabylie et les ârchs, déviés de leur vocation messianique, se retrouvent pris plus que jamais dans le tourbillon des enjeux politiques.