Depuis quelque temps déjà le torchon brûle. Les manchettes de la presse des rives du Nil et certains commentaires de la télévision ne cessent de jeter de l´huile sur le feu de la passion qui dévore les jeunesses des deux pays qu´on dit frères. Il faut dire que chez nous, depuis quelques jours, un phénomène nouveau est apparu: une invasion sans précédent de l´emblème national dans tous les secteurs de la vie quotidienne qui n´est pas sans rappeler, avec une plus forte densité les jours glorieux de l´Indépendance, juste avant les premiers échos des balles de la discorde. Mais cette fois-ci, le mercantilisme s´en est mêlé, puisque non seulement de jeunes gens affublés de brassards, de bonnets, de bandeaux ou d´écharpes aux couleurs nationales sillonnent les rues et les quartiers pour vendre des drapeaux offerts généreusement par des institutions publiques, certains marchands proposent fanions, étendards, oriflammes et accessoires vestimentaires à une jeunesse prise au jeu d´un patriotisme soudainement ressuscité. Il n´est pas rare de voir des gamins et gamines tirer leurs pères par la manche pour les inciter à leur acheter de quoi parader devant les voisins de leur âge. Les marchands ont même sorti de leur hotte, en plus des fanions qu´on accroche aux voitures, qu´on pose sur les étals de boutiques ou sur les bureaux, de larges étendards dont les plus exhibitionnistes se drapent, ou de larges oriflammes qu´on accroche aux hampes improvisées, des foulards pour habituer les petites gamines à couvrir leurs cheveux d´une manière patriotique. La panoplie est large et elle renforce les nombreux commentaires et pronostics triomphaux qui accompagnent l´Equipe nationale dans le moindre de ses faits et gestes répercutés par les télévisions arabes et amplifiées par radio-trottoir. L´atmosphère est, malgré tout, bon enfant puisque pour une fois, on n´a pas entendu les pétards. Des voitures cependant sillonnaient les routes, toutes cornes déployées, et arboraient les drapeaux de toutes tailles. L´ambiance de fête fut brutalement cassée par un jeune qui annonça soudainement la lâche agression perpétrée sur la route du Caire. La nouvelle se répandit aussitôt comme une traînée de poudre sur le trottoir. Le boucher qui hachait le gigot lâcha son hachoir et fit une mine dégoûtée: «Cela ne m´étonne pas des Egyptiens! On a été trop gentils avec eux!» Les klaxons se firent plus agressifs et les slogans plus nombreux. La nuit était tombée. Pendant que l´Entv diffusait une table ronde lénifiante préenregistrée sur les chances de l´Equipe nationale, la journaliste marocaine de Medi1 Sat, retournait sur le grill de l´actualité cairote un député égyptien, cadre au ministère du Sport. L´émission suivie avec attention par toute la famille fut brillamment conclue par un docteur d´université qui déclara que cet incident ne bénéficiait qu´aux deux régimes, qui profitent de ces tensions pour faire impasse sur leurs problèmes sociaux et les grèves qui agitent les pays. Il ne faut pas oublier le baathiste de service qui introduisit Israël dans le débat. La langue de bois n´est pas morte, elle sévit encore.