Magistrats et avocats tunisiens entendent dicter une «feuille de route» à la nouvelle Assemblée constituante, élue fin octobre, afin de garantir une véritable indépendance de la justice, inexistante sous le régime de Zine El Abidine Ben Ali. «Tous les Tunisiens réclament l'indépendance de la justice. Plus concrètement, nous voulons l'indépendance du parquet vis-à-vis du ministère de la Justice», a déclaré Roudha Laâbidi, 47 ans, élue à la présidence du Syndicat des magistrats, créé après la chute le 14 janvier du président Ben Ali. «Nous souhaitons que le procureur général soit la première autorité du parquet pour une véritable séparation des pouvoirs, l'expérience en Tunisie étant édifiante après les ingérences de l'Exécutif dans le judiciaire», a-t-elle expliqué. Selon Mme Laabidi, le Conseil supérieur de la magistrature aura la haute main sur le pouvoir judiciaire. Mais «nous voulons, a-t-elle martelé, que ses membres soient élus et non plus désignés comme auparavant» par le président de la République. Outre un projet de loi sur le statut des magistrats, le syndicat met la dernière touche à une «feuille de route» visant à garantir le rôle et la place du pouvoir judiciaire dans la future Constitution à laquelle va s'atteler l'assemblée issue des élections du 23 octobre gagnées par les islamistes d'Ennahda. «L'ancien texte constitutionnel de 1959 ne réservait que 4 articles au judiciaire contre 17 au législatif et 27 à l'Exécutif», a noté Mme Laabidi. Le Syndicat des magistrats, qui rassemble près de 1300 des 1800 magistrats que compte la Tunisie, partage les mêmes revendications que l'Association des magistrats tunisiens (AMT), laquelle vient d'adopter une motion réclamant l'indépendance du parquet lors de son premier congrès, fin octobre, depuis la chute de l'ancien régime. L'ATM était la seule structure de défense des magistrats sous Ben Ali. Mme Kalthoum Kannou, une magistrate longtemps persécutée sous le régime de Ben Ali, vient d'être élue à sa tête. Le congrès a consacré le retour à l'indépendance de l'Association qui était «court-circuitée» depuis 2005 par les partisans de Ben Ali et dont nombre de membres contestataires avaient fait l'objet de mutations arbitraires. Sous la dictature, plusieurs magistrats tunisiens étaient notamment montés au créneau pour protester contre l'instrumentalisation de la justice suite à l'éviction de la magistrature du juge Mokhtar Yahyaoui, devenu par la suite avocat, pour avoir plaidé l'indépendance du système judiciaire dans une lettre ouverte à Ben Ali. Le barreau des avocats a également exprimé son soutien aux revendications des magistrats. «Etant donné le fonctionnement du parquet sous l'ancien régime, nous pensons qu'il s'agit d'une demande légitime», a souligné Me Saïda Akremi, membre de la direction du Conseil national de l'ordre des avocats. Sous Ben Ali, la justice et la presse étaient aux ordres de l'Exécutif, particulièrement dans les procès politiques et d'opinion, une ingérence dénoncée par le barreau qui a pendant des années été en première ligne de la contestation contre l'ancien pouvoir.