Alors que le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, annonce entre 300 et 400 terroristes armés toujours en activité, les spécialistes antiterroristes étudient actuellement le degré de connivence entre ces groupes terroristes résiduels et les barons de la contrebande. Leur conclusion sur les cinq prochaines années est que le terrorisme va davantage se nourrir du grand banditisme et vice-versa. Les intérêts qui lient les gros bonnets de la contrebande dont les réseaux de trafic de voitures volées et les trafiquants de cigarettes avec les groupes du GIA et du Gspc sont en train de se transformer en véritable entité appelée «gangs terrorisme». Le ciblage des infrastructures économiques par les groupes terroristes depuis 1993 est en rapport étroit avec la demande des barons de la contrebande. Ces derniers passant une «commande» aux groupes de Antar Zouabri et Hassan Hattab pour éliminer la concurrence ou se fournir en produits divers. Ce cycle a été inauguré en 1993 lorsque le groupe des afghans algériens, dirigé par Mohamed Akkal, a détruit les équipements de l'usine Enie de Telagh, dans la région de Sidi Bel Abbes, prenant possession de 5.000 microprocesseurs qui ont été revendus dans la région d'Oujda au Maroc. Les fonds dégagés ont permis de financer l'achat de lots de kalachnikovs importées d'Europe centrale pour le compte de katibat El Ahouel qui activait dans l'Ouest algérien. Depuis, les connexions terrorisme-banditisme n'ont pas cessé de croître et de se renforcer. Toujours en 1993, l'émir Mokhtar Belmokhtar et son lieutenant Rouiyem se sont spécialisés, le long des frontières Sud, dans l'acheminement des voitures volées vers les pays subsahariens tels que le Niger, le Mali, la Libye ou le Tchad. Les voitures étaient soit revendues en l'état, soit en pièces détachées. Les revenus de ces ventes servaient à s'alimenter en armement léger dont des lance-roquettes RPG7 qu'on retrouvera dans les maquis du Nord dans la région de Médéa. Parfois, cet argent était utilisé pour acheter sur place, dans les marchés itinérants du Sud, des semi-remorques de cigarettes de contrebande dont les bénéfices allaient également au marché des armes. Malgré les différentes interceptions militaires dans la zone Sud de l'Algérie, notamment le convoi de sept véhicules du GIA bourrés d'armes et de cigarettes qui avait contourné le poste-frontière de Deb-Deb en 1996, ces opérations de contrebande se poursuivent toujours sous la houlette de l'émir Belmokhtar rendu célèbre après le report de deux étapes du Rallye Paris-Dakar en 1999. Si le GIA avait inauguré la voie à ces pratiques, le Gspc, dès sa constitution, s'est attelé à trouver d'autres sources de financement que le racket habituel en constituant des réseaux communs de trafic de voitures avec la mafia. Le réseau de Draâ Ben-Khedda de 1995 à 1998 a été un des plus importants puisque les lieutenants de Hattab avaient monté un groupe spécialisé dans le vol de véhicules, le trafic de documents administratifs, le désossement des voitures et la vente des pièces détachées. Le produit de ces opérations était versé au Gspc et plusieurs millions de dinars ont été collectés avant le démantèlement de ce réseau par les services de sécurité. Le Gspc s'est également attaqué au marché du sable surtout sur le littoral Est allant de Boumerdès à Dellys. Hattab avait constitué des groupes dont la tâche consistait à prélever une taxe sur tout enlèvement de sable opéré sur cette partie du littoral où les salafistes étaient en activité. La mafia du sable devait payer cette taxe au risque de voir ses camions interceptés et la cargaison détournée pour être revendue à des tiers. Ce réseau a fonctionné durant deux années avant d'être démantelé. Les enquêteurs étaient surpris par le niveau de collaboration qui existait entre le groupe de Hattab et les contrebandiers qui protégeaient mutuellement leurs intérêts. C'est dans la région de Tlemcen et Mascara que la liaison «gangs terrorisme» avait pris sa pleine mesure concernant le trafic de drogue. Les cargaisons de résine de cannabis traité venant du Maroc étaient escortées par les groupes du GIA local jusqu'au centre-ouest du pays (Chlef et Aïn Defla) devenu la plaque tournante du trafic de drogue. Les revenus de ce trafic finançaient non seulement l'achat d'armes automatiques neuves, mais également des grenades, du TNT et des moyens de télécommunications tels que les talkies-walkies et les émetteurs-radio. Ainsi, il est devenu difficile pour les spécialistes de l'antiterrorisme de faire la différence entre les réseaux de contrebande et les groupes terroristes tant ils sont imbriqués. La lutte au sens militaire sera plus ardue, car elle doit être doublée d'une lutte policière et financière contre les différents réseaux de la contrebande. Ce sera assurément le défi de ces cinq prochaines années pour l'ensemble des services de sécurité.