Les citoyens tournent le dos à la politique Les dividendes qu'en tirent ces «athlètes» sont innombrables. Ils vont des postes ministériels aux rétributions financières. Si la classe politique, les observateurs internationaux et les chancelleries étrangères attendent avec impatience de connaître le nom du candidat du consensus ou les candidats possédant un potentiel populaire et une base politique importante qui entreront en lice pour la course à la magistrature suprême, il y a des candidats à qui on n'accorde pas trop d'importance mais qui offrent une crédibilité à une élection démocratique et pluraliste et une assurance au candidat le plus sérieux: les lièvres de la présidentielle. L'Algérie qui est une ancienne colonie française a adopté le même mode des présidentielles que la France: une élection pluraliste qui offre la possibilité à plusieurs candidats d'entrer en compétition dans la course à la magistrature suprême. Un mode qui n'est pas utilisé dans certaines démocraties comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne ou même l'Inde ou Israël qui adoptent les bipartismes, mettant en compétition deux candidats seulement représentant les deux plus importantes forces politiques sur le terrain. Cette méthode favorise généralement les deux partis au pouvoir et écarte toute mauvaise surprise ou naissance d'un troisième courant ou une nouvelle forme d'opposition dans le résultat final de l'élection. L'Algérie qui a longtemps adopté le candidat unique représentant le parti unique a depuis la première élection présidentielle de 1995, adopté le pluralisme des candidatures. Un pluralisme politique de façade, puisque après quatre élections présidentielles pluralistes, un seul candidat est porté par les urnes empêchant tout deuxième tour. En 1995, le candidat Zeroual, candidat du consensus, était face à deux véritables oppositions: les islamistes du Hamas représentés par Nahnah et les démocrates représentés par Saïd Saâdi du RCD. Le quatrième candidat en lice pour la présidentielle de l'époque était Nourredine Boukrouh du PRA. Véritable lièvre de la présidentielle de 1995, Boukrouh qui n'avait pas d'ambition politique avait pour mission de réduire les chiffres du RCD et surtout d'empêcher Nahnah de faire un bon score qui lui donnerait des ambitions après l'élection. Mission presque réussie, puisque Boukrouh piqua plus de 400.000 voix aux deux candidats et se classa 4e avec tout de même 3,8%. Suite à cette mission Boukrouh quittera le PRA en 1999 et fera son entrée dans le gouvernement Benbitour comme ministre de la Petite et moyenne entreprise et de la Petite et moyenne industrie. Devenir ministre c'est généralement le poste réservé aux lièvres de la présidentielle. Dans l'athlétisme, un lièvre est un coureur chargé de favoriser la performance d'un autre concurrent en menant la première partie d'une course. Les organisateurs de meetings internationaux font souvent appel à des «lièvres» lors d'épreuves de fond ou de demi-fond. Ces athlètes doivent donner à la course une allure suffisante et respecter des temps de passage définis à l'avance, pour permettre aux champions de battre un record. Dans ce cas, les lièvres bénéficient de primes de performance. Cette méthode sportive est adoptée dans les présidentielles. Dans le cas des présidentielles algériennes, les lièvres sont toujours récompensés. Depuis l'élection de 1999, qui a vu neuf candidats constituer un front d'opposition contre le candidat Bouteflika et se retirer à la dernière minute de l'élection, favorisant l'élection du candidat du consensus, l'idée d'introduire des candidats lièvres était devenue plus qu'inéluctable, pour éviter tout retrait ou montée en puissance d'un candidat. En 2004, la classe politique et médiatique était pour la première fois séparée en deux camps: le camp de Bouteflika et le camp de Benflis. L'hypothèse d'un deuxième tour était même envisagée. L'entrée des lièvres était donc plus qu'indispensable pour éviter ce scénario. La participation de Louisa Hanoune et de Fawzi Rebaïne qui n'avaient aucune ambition présidentielle devait donc servir à réduire les chances du candidat Benflis. Mais c'est finalement la candidature de Djaballah «demi-lièvre» qui a tout de même réalisé 5% lors de la présidentielle qui a le plus pesé sur la défaite de Benflis. Mais le score fleuve de Bouteflika n'avait pas besoin de lièvres pour le résultat final, puisqu'il a obtenu largement plus de 80% des voix. En 2009, on a assisté au refus de certaines pointures de la classe politique comme Saïd Saâdi, Djaballah ou encore Benflis d'entrer dans la course à la magistrature suprême, considérant que les jeux étaient déjà faits. Une pléiade de candidats ont réussi, sans base électorale, ni base politique à passer le cap des 75.000 signatures et d'être retenus. C'est ainsi que les Algériens et surtout les médias ont assisté à une élection constituée d'un candidat sérieux et une multitude de lièvres: Louisa Hanoune, Moussa Touati, Ali Fawzi Rebaïne, Mohammed Jahid Younsi et Mohamed Saïd. Des candidats sans poids politique réel, ni ancrage populaire, Bouteflika était quasi sûr d'être élu sans même faire sa campagne électorale. Sachant que ces candidats ne réaliseront pas les 5% que la loi électorale prévoit laquelle donne droit à des indemnités financières importantes, les lièvres bénéficieront de postes importants dans le gouvernement et une aide financière pour finaliser leurs projets politiques. C'est ainsi que le candidat Mohamed Saïd à l'élection présidentielle de 2009 deviendra ministre de la Communication, alors qu'il était sur le point de dissoudre son parti politique et de quitter la politique, après sa défaite aux élections législatives. Pour leur part, Louisa Hanoune et Moussa Touati verront leur quota de députés augmenter à l'Assemblée. Dans cette logique de participation à l'élection, seul Fawzi Rebaïne refusera les «récompenses» pour ses deux rôles de lièvre durant les élections de 2004 et 2009. Le président de AHD 54, qui se portera candidat pour l'élection 2014, verra sûrement la participation encore de Louisa Hanoune, de Moussa Touati et éventuellement de Benbitour. Les lièvres de l'élection présidentielle ont toujours de beaux jours devant eux. En attendant de savoir qui sera le futur candidat du consensus, qui obligera les chefs des principaux partis de la scène politique du FLN, du RND, du MPA et éventuellement du FFS et du MSP de se rallier à sa cause, les lièvres seront toujours là pour crédibiliser l'élection et surtout donner une longueur confortable au candidat du consensus pour arriver au poste de septième président de l'Algérie indépendante.