Une fois de plus, la Kabylie est au rendez-vous de l'histoire, sans que ce mot rime avec espoir. L'élection présidentielle lui offre une nouvelle occasion d'étaler au grand jour ses divisions entre ceux qui veulent y aller (le RCD notamment, mais aussi M.Benflis et le cercle présidentiel) et ceux qui prônent le boycott. Au centre du litige, la plate-forme d'El Kseur, dont le principal point constitue la pomme de discorde entre le pouvoir et la population. Saïd Sadi lui-même vient d'avouer au cours d'une conférence de presse que la plate-forme d'El Kseur est un segment de son programme. Il en profite pour accuser le chef du gouvernement et son ministre de l'Intérieur d'être derrière ceux qui prônent le boycott à l'effet de saborder sa candidature. Ahmed Ouyahia, parlons-en. Son offre de dialogue sincère, après un appel fraternel aux archs avait suscité un grand espoir auprès d'une région meurtrie par trois années d'incertitude, de désinvestissement et de troubles, mais surtout de louvoiements et de mensonges de la part d'un pouvoir qui a joué sur le facteur temps pour pousser au pourrissement. L'invitation du chef du gouvernement était donc assortie d'un engagement à mettre en oeuvre la plate-forme d'El Kseur. Malheureusement, le dialogue n'a abouti qu'à approfondir le fossé entre les différents acteurs de la région, notamment avec la question dite des «indus élus», mais dès qu'il s'est agi de passer aux choses sérieuses, c'est-à-dire à la reconnaissance de tamazight en tant langue officielle, les vieux démons ont resurgi et le pouvoir a montré sa véritable nature, celle d'un caméléon qui, depuis 1962, n'a cessé de réprimer et d'occulter la dimension amazighe de ce pays, aussi bien sur les plans historique, culturel que linguistique. Aujourd'hui, la Kabylie est à la croisée des chemins. L'élection présidentielle, qui se déroule à quelques semaines seulement de la date symbolique du 20 avril, n'est qu'une répétition générale pour une fois de plus allumer les brasiers de la revendication, avec jets de pierres et gaz lacrymogène, sans compter l'inévitable «azrayen» qui sillonne les rues et balaie les barricades. En Kabylie, le mois de mars a toujours préparé le printemps. Les taggers clandestins qui sont en train de couvrir les murs de la vile de Tizi Ouzou de graffitis aux relents agressifs ne font-ils pas en secret le lit pour les futurs heurts et les envolées de violence? Le meilleur moyen de faire en sorte que la question amazighe ne serve plus aux joutes politiques, n'est-il pas justement de lui donner le statut de langue officielle et les moyens de sa promotion. La population de la région, quoique pénalisée par plusieurs années de troubles ne se laisse pas aller à la fatalité et espère que cette question trouvera sa solution dans un cadre national, car il faut le dire, elle tient avant tout à son algérianité, dont tamazight est une partie inaliénable. Lorsque le président de la République a distribué avec largesse des enveloppes aux différentes régions du pays, et affirmé que les enveloppes de Tizi Ouzou et de Béjaïa existent au niveau de la présidence, il n'a certainement pas mesuré la portée de tels propos, surtout lorsque ces mêmes propos ont été dits devant des millions de téléspectateurs à une heure de grande écoute. Une seule question : le président a-t-il des conseillers en communication? A en croire la pléthore de journalistes anciens ou nouveaux qui gravitent autour de son QG de campagne, ces conseillers sont fort nombreux, mais apparemment ils ne sont bons qu'à opiner de la tête.