«Jeanine a marqué des générations entières de médecins et de paramédicaux. Elle a choisi la lutte pour la liberté du pays» «Souvent on n'entend parler des célébrités et des patriotes qu'au moment où ils s'éteignent. C' est vraiment regrettable.» Lahrèche Faycal (commentaire d'un internaute) C'est en effet tragique, des pans entiers de notre mémoire disparaissent dans l'indifférence la plus totale et l'actualité nous sature toujours des mêmes qui ont pris en otage le pays depuis l'indépendance et que l'on voit nous resservir le même logiciel élimé lors de cérémonies commémoratives où- exception faite des rares révolutionnaires devant lesquels à qui nous devons témoigner notre reconnaissance- ils se retrouvent «en famille révolutionnaire» excluant de facto, les anonymes de la révolution et du jihad de l'édification du pays, mais aussi la jeunesse qui est à des années lumière de ces salamalecs que nous voyons à la télévision lors de ces rituels où la foi de la Révolution s'est refroidie en rites, avec toujours les mêmes, ceux qui sont là depuis la nuit des temps, ceux qui viennent d'être «cooptés» par la «famille» et ceux qui suivent le mouvement pour profiter des reliefs restants à la grande «zerda» de la République. A côté d'eux il y a l'Algérie profonde, celle des besogneux qui, après avoir fait leur devoir envers le pays lors de la glorieuse révolution de Novembre, -sans en faire un fonds de commerce -, se sont attelés à l'édification ardue du pays où tout était à faire. Il y a une petite semaine en effet, s'éteignait une lumière, celle d'une grande dame qui se dévoua toute sa vie à l'Algérie à la fois pour la révolution et le combat pour la dignité mais aussi pour le combat contre la misère, la maladie. En ce début du démarrage du 60e anniversaire du 1er Novembre, Jeanine Belkhodja nous tirait sa révérence après une soixantaine d'années de merveilleux dévouements au service du pays et de la dignité humaine notamment celle de la femme dans un pays qui n'a pas encore conjuré ses démons de minorisation des droits de la femme, nos mères, nos épouses nos soeurs au moment où ailleurs on s'interroge si être une femme est une fatalité selon la phrase sans concession de Simone de Beauvoir: «On ne naît pas femme, on le devient.» Qui est Jeanine Belkhodja? «Née en 1928, Jeanine Belkhodja figurait nous rapporte le journal Liberté, parmi les premières étudiantes algériennes à entamer des études médicales dès la fin des années 40. Elle a milité dans de nombreuses associations estudiantines. Membre du Parti communiste algérien, elle a participé aux négociations entre le PCA et le FLN en 1956 et a rejoint le Front de libération nationale. Le 14 mars 1957, elle a été arrêtée à Alger par les Bérets verts et transférée à la villa Susini où elle a subi tous les sévices avant d'être transférée à la prison de Serkadji. Elle a été jugée lors d'un procès, fin mars 1957, où la seule charge retenue contre elle était l'envoi de médicaments et de tracts au maquis... Elle est alors condamnée à 5 ans de prison avec sursis. Le 23 juin 1957, grâce à sa famille et à ses avocats, elle réussira à se réfugier en France et à rejoindre le FLN en Tunisie. Dès son arrivée, elle est affectée à l'hôpital Seddiki à Tunis pour y soigner les djounoud. Elle en profitera pour organiser des visites régulières aux frontières auprès des djounoud et des réfugiés. En 1959, elle crée une maison d'accueil à Tunis destinée aux djoundiate démobilisées. De 1960 à 1962, elle est nommée responsable du service médical au ministère des Combattants au sein du Gpra. Après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, elle est envoyée en avril auprès de l'Exécutif provisoire. Elle rejoindra la 2e Zone autonome d'Alger dirigée par le commandant Azzedine, Ali Lounici et Boualem Oussedik.» (1) Elle fut ensuite affectée à Alger dans un dispensaire, puis à la clinique Naïma de Belouizdad où elle opéra les blessés par balle victimes de l'OAS. Depuis l'indépendance jusqu'à sa retraite, elle occupa plusieurs postes dans le secteur public de la santé. Professeur de gynécologie, elle forma plusieurs générations de gynécologues tout en jouant un rôle déterminant dans l'introduction et la généralisation du planning familial en Algérie. Elle avait une large vision de la santé publique. Elle fut longtemps chef de service à la clinique Durando de Bab El Oued. Elle eut à travailler avec le professeur Chaulet, tant à Tunis qu'à Alger. Pour le professeur Zitouni: «Jeanine a marqué des générations entières de médecins et de paramédicaux. Elle a choisi la lutte pour la liberté du pays et après l'indépendance elle s'est consacrée à la santé publique. Grace à des générations entières qu'elle a formées, nous avons aujourd'hui des réseaux de médecine de proximité plus diversifiés et plus proches de la population. Elle fait partie des grandes héroïnes de l'Algérie d'avant l'indépendance et d'après. Les traces qu'elle a laissées dans les mémoires sont plus importantes que les lumières et les prestiges.» Le professeur Grangaud se remémore les premiers instants où il a eu à connaître la défunte: «C'était vers la fin des années 1950. Nous nous sommes présentés sur la même liste de la mutuelle des étudiants à l'université, contre celle composée des futurs membres de l'OAS. Je l'ai retrouvée après 1962, puis dans les programmes de planning familial, domaine où elle était très active. Même en tant que chef de service, elle était au premier rang des mouvements dans la santé publique.» «En avril 1992 au plus fort de la détresse du peuple algérien, Jeanine Belkhodja a été membre de l'Observatoire de défense des droits de l'homme. Avec le professeur Chaulet, elle a fait un travail remarquable en matière de lutte contre la tuberculose. Elle était engagée aussi dans le programme de planning familial pour réduire sensiblement le taux de natalité, sans parler de sa lutte pour les droits des mères célibataires.» Il rappelle le combat de la défunte pour faciliter l'accès des étudiantes aux branches de la médecine, alors considérées comme des domaines masculins. (...)Monseigneur Henri Tessier, ex-archevêque d'Alger, était très touché par la disparition de Jeanine. «En plus de son parcours médical, Jeanine était une militante de la liberté. En 1969, elle m'a accompagné en Jordanie, à une conférence mondiale des chrétiens pour la Palestine. Des combattants du Fatah nous ont emmenés clandestinement voir Yasser Arafat dans une grotte», se souvient-il, ajoutant: «Il y a un peu plus d'une année, elle avait été choisie par feu Chaulet pour lire son parcours médical lors de sa cérémonie funèbre...» Jeanine s'est éteinte, emportant une partie de la mémoire algérienne. Les affres de la prison ne l'ont pas empêchée de rejoindre, dès sa libération en 1960, la Tunisie, pour s'occuper des services sanitaires de l'ALN, jusqu'en 1962, année où elle est rentrée à Alger pour soigner les blessés victimes de l'OAS. Sa disparition est une perte pour la santé publique, mais aussi pour le mouvement associatif féminin, privé ainsi d'une grande militante des droits des femmes.» Janine Belkhodja, Pierre, Chaulet, deux dignes fils de l'Algérie indépendante La vie de Jeanine Belkhodja a été exceptionnelle. Toute jeune, elle s'était dévouée à la lutte pour l'indépendance, puis au combat pour une médecine de proximité, en passant par son engagement contre les violences faites aux femmes, notamment la défense des mères célibataires et des enfants. Emotion, douleur et deuil se lisaient sur les visages de ces sages-femmes qu'elle a formées et d'autres, anonymes, qui lui vouaient un grand respect. A 12h30, les agents de la Protection civile ont soulevé le cercueil sous les youyous stridents des femmes. Certaines ont éclaté en sanglots, d'autres ont laissé couler des larmes. Le cortège s'est ébranlé en direction du cimetière de Sidi M'hamed, à Belouizdad. Quelques jours avant son décès, elle avait refusé d'être enterrée à El Alia et émis le voeu d'être inhumée dans la tombe où reposent ses parents, au carré des anciennes familles d'Alger. C'est Jeanine Belkhodja qui eut à rendre compte du parcours médical du professeur Chaulet lors de la cérémonie précédent l'enterrement de ce dernier. Justement cela nous donne l'occasion de nous ressouvenir d'un autre géant qui a tout donné à l'Algérie, en l'occurrence Pierre Chaulet. L'autre combat de Janine Belkhodja celui de l'émancipation de la femme Nous lisons sous la plume de Hafida Ameyar du journal Liberté: «L'office religieux célébré, hier matin à la Maison Diocésaine, au Val d'Hydra (Alger), en hommage au militant de la Révolution algérienne, le professeur Pierre Chaulet, a été à la fois beau et émouvant. La petite église était archicomble. Outre la famille du défunt, composée de sa veuve, Claudine Guillot-Chaulet, de son frère, de ses trois enfants et leurs conjoints (es), ainsi que de ses petits-enfants, d'anciens combattants de la guerre de Libération nationale, dont Mohamed Mechati, membre du groupe des 22, et Ali Haroun, ancien responsable de la Fédération de France du FLN, l'ex-négociateur des accords d'Evian, Rédha Malek, des ex-chefs de gouvernement et ex-ministres, comme Mouloud Hamrouche, Sid-Ahmed Ghozali, Smaïl Hamdani, Lakhdar Brahimi et Hamid Aberkane, des représentants de partis politiques, des membres du corps médical, de même que des universitaires et chercheurs, des journalistes, des militants des droits de l'homme et du mouvement associatif, ont tenu à assister à la rencontre commémorative, pour un dernier adieu à l' ́ ́un des enfants exceptionnels ́ ́ de l'Algérie. Même décédé, le Pr Chaulet a réussi à rassembler ses concitoyens autour de l'amour pour son pays. Même décédé, il a laissé sa profonde empreinte d'homme croyant, mais aussi d'homme scientifique privilégiant la réflexion et la rationalité. En effet, tout a été minutieusement préparé par le moudjahid, décédé vendredi dernier, avant qu'il ne rende son dernier souffle: recouvrir son cercueil de l'emblème national, désigner Mgr Henri Teissier, l'ancien archevêque d'Alger, pour présider et célébrer la messe d'hier, opter pour le cimetière chrétien de Diar Es-Saâda, à El-Madania (Alger), aux côtés d'Henri Maillot, cette autre figure de la cause nationale (...) Avant d'annoncer que la parole est donnée à trois personnes ́ ́choisies ́ ́ par le défunt, à savoir Rédha Malek, Janine Belkhodja, ex-médecin du FLN pendant la guerre de Libération nationale et professeur en gynécologie obstétrique, et Omar Zelig, alias Luc Chaulet (réalisateur radio, auteur et dessinateur), représentant la famille Chaulet.» «De son côté, Mme Belkhodja a axé son intervention sur le parcours médical de Pierre Chaulet qui, selon elle, est ́ ́intimement lié à son militantisme ́ ́, sur cet homme resté ́ ́attentif aux relations humaines ́ ́ et sur ses préoccupations, ces dernières années, devant la situation de la santé publique.» (3) On connaît l'adage qui dit: «Qui s'assemblent se ressemblent.» Il ne peut être que plus vrai tant est poignante la sollicitude des deux parcours de ces deux géants à qui nous ne cesserons de rendre hommage. Jeanine Belkhodja fait partie de ces combattantes qui ont continué le combat après la fin des combats cette fois-çi contre la misère la maladie, en un mot la détresse humaine et notamment celle de la condition de la femme. C'est d'ailleurs dans le réseau Wassila, dont le professeur Chitour Fadila l'une des membres fondatrices et porte parole, que Jeanine Belkhodja a milité. Elle eut à intervenir notamment, dans l'affaire des femmes agressées de Hassi Messaoud. Nadja Makhlouf a rencontré les anciennes combattantes de la guerre d'Algérie, cinquante ans après l'indépendance... «Ces femmes ressentaient et vivaient l'injustice. Elles trouvaient leur situation, dans l'Algérie d'alors, humiliante et rabaissante. Et il n'y avait, parmi elles, aucun problème de nationalité, de culture ou de religion.» Nadja Makhlouf, en décidant de photographier les moudjahidate, ces anciennes combattantes de la guerre d'Algérie, a engagé une bataille contre le temps, cinquante ans après leur combat. Car certaines sont âgées aujourd'hui de 100 ans. (..) Une photo aujourd'hui, prise dans l'intimité, sur le canapé du salon ou dans la cuisine. Une photo d'hier, trouvée dans les archives familiales, en uniforme, ou dans une manif. Souvent agents de liaison, infirmières, couturières, propagandistes... Parfois combattantes, en ville ou au maquis, au même titre que les mou- djahidine qu'elles accompagnaient. Comme Lamri Malika, née en 1933, qui s'engagea comme poseuse de bombes dans la Casbah d'Alger. Torturée et emprisonnée par les paras, elle passera quatre ans et demi en détention. Aujourd'hui, elle pose chez elle, dans sa cuisine. Jacqueline Guerroudj, elle, est européenne. Née à Rouen en 1919, et deviendra agent de liaison pour le Parti communiste algérien. Elle sera condamnée à mort puis graciée.. Il y a aussi Monique Hervo, qui a soutenu les Algériens de Nanterre, Zoulikha Bekaddour, trésorière d'une organisation étudiante, Zohra Slimi, tisseuse de drapeaux, Jeanine Belkhodja, médecin, Elyette Loup, agent de liaison... «Françaises, Arabes, juives, Espagnoles... Cette diversité des femmes que j'ai photographiées était réelle.» (4) Sans nul doute, Jeanine Belkhodja a beaucoup fait pour la cause de la femme. A ce titre, Soumia Salhi fait le point sur le formidable bouleversement survenu dans la vie des femmes algériennes: «Cinquante ans après, qu'en est-il des Algériennes?. (...) L'indépendance fut l'occasion d'un premier bond en avant pour la femme algérienne. Mais sa situation demeurait paradoxale, l'égalité constitutionnelle n'empêchait pas l'enfermement domestique pour l'écrasante majorité des femmes. (...) Au coeur de l'adversité, l'école et l'université sont restées mixtes! Les statistiques scolaires inversent le ratio 60% des bacheliers, deux tiers des diplômés sont des filles. Les diplômées occupent des emplois qui valorisent désormais le travail féminin dans la famille et la société, y compris celui des autres catégories moins instruites. Le mariage n'interrompt plus l'activité professionnelle. Dans le monde du travail, on retrouve une femme sur trente en 1966 et une femme sur 6 dans les années 2000. (...) L'oppression patriarcale, les violences c'est le sort commun des femmes du monde entier. Pour les violences conjugales: tous les cinq jours, deux femmes sont tuées en France par leur compagnon. Ce n'est qu'en 1969 que les Françaises ont eu le droit d'avoir un chéquier, ce n'est qu'en 1974 que le dernier canton suisse a accordé le droit de vote aux femmes. Sait-on que le droit coutumier britannique autorisait le mari à battre sa femme. (...) Un immense bouleversement est survenu, mais nous voulons plus et mieux. Nous avons connu des joies et des larmes. Nous avons eu beaucoup d'espoirs, nous avons conquis beaucoup de positions et résisté à l'adversité. (...) Les stigmates de la vague rétrograde sont encore présents, mais la vie a refleuri. Le combat a repris et nos filles continueront à monter à l'assaut du ciel» (5) 1. http://www.liberte-algerie.com/ actualite /l-hommage-a-la-moudjahida-jeanine-nadjia-belkhodja-son-enterrement-est-prevu-aujourd-hui-au-cimetiere-de-sidi-m-hamed-a-alger-209549 2. Salima Tlemçani http:// www.elwatan. com/actualite/hommage-discret-a-une-femme-au-parcours-exceptionnel-02-11-2013-233522_109.php 3. http://www.liberte-algerie.com/actualite/ le-professeur-s-en-va-sous-les-youyous-et-les-applaudissements-un-hommage-lui-a-ete-rendu-hier-lors-de-la-messe-d-alger-186792 4. http://www.la-croix.com/ Actualite/ Monde/Les-moudjahidate-ces-femmes-combattantes-de-la-guerre-d-Algerie-2013-07-30-992768 5.http://www.michelcollon.info/Les-Algeriennes-50-ans-apres.html