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"On ne peut sculpter sans modèle!"
BOUBEKER LAGHROUR, ARTISTE SCULPTEUR, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 12 - 12 - 2013


«Le corps humain m'intéresse»
Portraits, bustes, bas-reliefs, femmes nues, cela fait 20 ans qu'il expose et travaille dessus à New York. Boubeker Laghrour en a exposé une vingtaine, la semaine dernière, au niveau de l'Institut français d' Alger. De magnifiques sculptures qui dégagent une aura terrible.Presque autant que le regard perçant de son auteur charismatique. L'artiste se reflète ainsi à travers son pendant moulé dans le bronze, des créatures semblant presque animées. Rare qu'un Algérien s'y frotte à ce genre de discipline tant elle ne fait pas recette, encore moins l'unanimité chez nos artistes en Algérie. Boubeker Laghrour nous explique les raisons.
L'Expression: Vous êtes artiste sculpteur originaire de Khenchela, mais vous évoluez aujourd'hui à New York, un long chemin parcouru. Pourriez-vous nous l'expliquer?
Boubeker Laghrour: Le parcours ce sont les études. J'ai fait ingéniorat en chimie. à l'Université de Annaba et obtenu une bourse en 1981 pour aller étudier aux USA. Là-bas j'ai fait ce que je voulais vraiment faire, c'est-à-dire le dessin. Jeune, j'étais toujours attiré par le dessin. J'ai été renvoyé de l'école parce que je dessinais pendant les cours de sciences, quand j'étais dans le moyen à Khenchela. J'ai été renvoyé de l'école pendant une semaine. A l'époque, l'Ecole des beaux-arts n'était pas donné à tout le monde.
Vous avez fait quoi une fois aux USA?
J'étais à l'Université de Mechigan à Détroit. J'ai continué à étudier un peu la chimie, puis j'ai abandonné et j'ai commencé à prendre des cours de dessin à Washington puis je suis parti à New York et pris des cours de sculpture avec un grand sculpteur qui s'appelle Paul Luchesie. Il était mon promoteur. Il vient d'une grande famille d'artistes. Son père qui est connu est un grand sculpteur aussi. On est devenu amis. Il a trouvé que j'ai du talent. Depuis, je n'ai jamais quitté la sculpture jusqu'à présent.
Les sculptures que vous avez exposées ici la semaine dernière à l'IFA sont très expressives, douées de formes, quasi mouvantes qui mettent la chair bien en évidence. Un travail remarquable et très pointu. Le corps féminin est très réel. Elles ne sont pas figées. Comment avez-vous appris à manier cette technique?
Paul Loucheise m'a appris en plus de regarder, à voir! Comment voir et à partir de là on peut voir beaucoup de choses, le mouvement, l'expression du visage, le regard. C'est surtout voir ce qui m'intéresse, car on peut regarder, mais pas voir.
Je n'ai pas de temps précis à mettre sur chaque oeuvre. Ça dépend de l'intérêt que je lui porte. Si vraiment tu veux voir quelque chose, tu peux la voir. Quand on veut quelque chose, ça dépend du degré de cette volonté qu'on y met. Si on veut quelque chose très fort à ce moment-là on peut arriver à obtenir ce qu'on veut, rendre vie et réaliser ce qu'on veut.
Les sculptures que vous réalisez sont issues de votre invention ou le fruit de modèles?
Ce sont des modèles. Des gens qui posent pour moi..La pause, c'est moi qui décide. Si elle est debout, assise, inclinée. Il y a l'anatomie du corps qui est importante. Chaque muscle peut avoir toute sorte de formes. Ce que vous avez vu, ce sont des choses que je voulais réaliser, incarner en quelque sorte en sculpture.
Pourquoi ces figures telles que Kateb Yacine, Mammeri, le colonel Amirouche?
Depuis longtemps la sculpture est faite pour l'humain. Je trouve que faire le portrait de Kateb Yacine, de Mammeri ou de Amirouche, c'est très important, car ils étaient des personnalités éminentes qui ont donné beaucoup pour l'Algérie. Kateb Yacine est un grand écrivain. Il a créé le théâtre en Algérie, Amirouche a assuré la sécurité du Congrès de la Soummam, Mouloud Mammeri c'est la langue amazighe.. Effectivement, c'est un hommage que je leur rends, sinon c'est le corps humain qui m'intéresse. Il a toujours été l'inspiration de l'artiste. J'aime les formes. J'ai exposé quelques nus, les obèses c'est laborieux, mais très bon à travailler. Vous avez des plis et des plis, sinon il y a les corps sveltes, les expressions, tout ça m'intéresse dans une sculpture.
Est-ce le fait de se rapprocher de la perfection, d'être près du réel qui vous intéresse?
Oui, parce que j'enseigne la sculpture à New York. Je travaille avec mes étudiants sur l'anatomie, le squelette, les proportions, etc.
Vous pensez quoi de l'art en Algérie?
Vous pensez que l'Algérie marche comme sur des roulettes? Elle a beaucoup de problèmes. L'an dernier, j'ai passé une semaine avec les étudiants des Beaux-Arts d'Alger. J'ai assuré un atelier de sculpture. J'ai déjà fait la même chose à l'Ecole des beaux-arts d'Azazga.
Concrètement ce que j'en pense? Les étudiants, il leur manque le modèle. On ne peut pas faire de sculpture sans modèle. Quand on parle de sculpture, on parle de l'humain. En dessin, on peut faire la nature morte. Il y a plein de talents. Mais il n'y a pas de modèles. On est tellement attaché à la religion qu'on a tout oublié. C'est la religion qui prime. Et puis, l'Algérie n'est pas un pays ouvert, les étrangers viennent-ils ici? On est un pays fermé et c'est voulu. Dans n'importe quelle école d'art au monde on trouve le modèle vivant. Chez nous, il n'y a pas ça, parce que haram! Quand je fais des ateliers ici je me limite à faire des bustes, la tête. Le modèle ne peut pas se déshabiller, alors je ne fais que la tête. Cela n'a aucun sens. Quand bien même je veux juste la tête ou les épaules j'ai besoin de connaître l'ossature du reste du corps. Or, ici c'est impossible!


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