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Tombouctou sur la Croisette
FESTIVAL DE CANNES 2014
Publié dans L'Expression le 19 - 04 - 2014


Abderrahmane Sissako sur le tournage de son film
Pas de film algérien dans la compétition officielle pour la Palme d'or 2014 en attendant de connaître en outre, les films des autres sélections
Le seul film d'Afrique sélectionné pour la compétition est Timbuktu, le chagrin des oiseaux du Mauritanien Abderrahmane Sissako avec dans un des rôles principaux la chanteuse touarègue, Toulou Kiki. Un film qu'on affuble déjà de «courageux» d'office eu égard au sujet et les thèmes traités. «L'histoire du film se déroule à Tombouctou pendant les «évènements» maliens (guerre), notamment l'arrivée des islamistes et leur confrontation avec la population touarègue... je n'en sais pas beaucoup plus, à part que certaines personnes ont conseillé à Toulou d'être prudente...» nous a confié un musicien, ami de la chanteuse touarègue. En tout cas, si le film est du même acabit que Bamako, il ne manquera pas assurément d'attirer l'attention y compris de l'opinion internationale. Chose qu'a réussie jusqu'à présent Abderahmane Sissako.
Le long métrage du cinéaste et producteur mauritanien Le Chagrin des oiseaux est, en tout cas, le seul film africain figurant parmi les 18 oeuvres en compétition pour la Palme d'or de la 67e édition du Festival de Cannes qui s 'étalera cette année du 15 au 24 mai 2014. Ce qui est doublement une chance pour le cinéaste d'évoquer, à la fois l'Afrique, mais aussi le drame de cette ville patrimoine de l'humanité qui s'est transformée du jour au lendemain en un lieu de feu et de sang.
Timbuktu, le chagrin des oiseaux raconte l'histoire de la ville de Tombouctou, surnommée «la ville aux 333 saints» ou «la perle du désert», un lieu de rencontres et de brassage, jadis symbole de tolérance et de symbiose entre les communautés qui y vivaient. On apprend aussi que cette cité passe quasiment comme une ville-martyre depuis son occupation par les islamistes qui avaient créé, en 2012, un tollé mondial pour avoir détruit des lieux sacrés de Tombouctou, principalement les derniers mausolées de la ville classée patrimoine mondial de l'Unesco.
Aussi, le prestige de Tombouctou réside comme nous le savons dans son ensemble de près de 100.000 manuscrits détenus par les grandes familles de la ville et qui datent de la période impériale ouest-africaine, au temps de l'Empire du Ghana, de l'Empire du Mali et de l'Empire songhaï. «J'ai envie de raconter trois moments, trois thèmes, je dirai importants de ce qui s'est passé à Timbouktou précisément, la justice tout ce qui était en amputation et flagellation, je voulais parler des femmes, et finalement des interdits. Ce que j'ai ressenti après l'opération de Timbouktou, c'est la capacité des gens d'attendre le changement. Ce combat silencieux des hommes et des femmes... Il était important pour moi de raconter les rues, pas les maisons. A Tombouctou la vie c'est dans la rue.. et elle s'est arrêtée pratiquement pendant un an» dit Sissako au micro du réalisateur Arnaud Contreras qui a suivi Sissako lors du tournage d'un documentaire appelé Timbuktu le film des événements. Interrogé en 2011, à Alger, à la suite de la projection de son envoûtant film Bamako, à propos de l'éternelle attente de l ́hypothétique bonheur dans les pays africains, Sissako nous répondait dès lors: «Il faut qu ́il y ait, aussi bien dans le regard des autres, que de chaque peuple, cette conscience de ce qui arrive. Il peut ne pas le changer. Mais il en est conscient, et pour moi, c ́est important. Et dans cette prise de conscience à chaque pays et chaque peuple de par son histoire, de se mettre en marche pour changer et transformer les choses. Aucun pays ne viendra faire le bonheur de l ́autre. Aucune institution ne viendra faire le bonheur de l ́autre. Cela n ́existe pas. C ́est à chaque pays de se prendre en main pour changer les choses. Et cela va se faire différemment dans les pays, dont chacun a sa propre histoire.» A propos de la rareté du cinéma africain dans le circuit du marché international et son manque de visibilité notre interlocuteur lucide, nous donnait cette réponse implacable: «Pour créer une visibilité, il faut d ́abord que beaucoup de films se fassent. Il y a des pays qui font un film tous les 5 ou 10 ans. Il est difficile donc d ́imposer le cinéma africain comme une industrie ou produit à vendre. Certains films ont une notoriété et une certaine visibilité dans certains festivals. Ils feront leur petit bonhomme de chemin mais cela ne fera pas une industrie du cinéma africain. Je pense qu ́il faut, pays par pays, encourager tout simplement la création. Dans ce sens-là, je veux citer l ́exemple du Maroc. Sans une politique mais réelle et profonde de soutien à la culture, il est très difficile à la culture d ́évoluer. Les Etats doivent véritablement jouer leur rôle. Quand on n ́aide pas sa cinématographie localement, quand on ne pousse pas les jeunes, quand on ne leur montre pas qu'ils ont la possibilité d ́apprendre à faire du cinéma, qu ́il y a des bourses, on ne crée pas un cinéma. C ́est pour cela que je cite le Maroc. Qu ́on aime ou pas son cinéma. Il y a 10 à 15 films qui s ́y font chaque année. Cela veut dire qu ́il y a 10 à 15 jeunes qui s ́expriment. Avec eux, il y a une quarantaine de jeunes qui travaillent dans les différentes branches du cinéma. Finalement, ce n ́est pas une question d ́argent, car il y a des pays qui sont plus riches, mais qui n ́ont pas une cinématographie visible. On voit donc des cinéastes qui s ́exilent dans différents coins du monde et qui montent difficilement un projet toujours rattaché au pays. C ́est douloureux pour eux. Il ne faut pas voir en eux des gens qui ont abandonné le pays. L ́artiste peut partir et créer. Sa patrie, il l ́a dans sa tête...» Il est bon à rappeler que Sissako est aux côtés de Juliette Binoche, notamment le cofondateur de l ́Association des cinémas pour l ́Afrique qui consiste donc à rénover des salles de cinéma.
Voici la liste des films en compétition:
Sils Maria, Olivier Assayas (France)
Saint Laurent, Bertrand Bonello (France)
Sommeil d'hiver (Kis uykusu), Nuri Bilge Ceylan (Turquie)
Map to the Stars, David Cronenberg (Canada)
Deux jours, une nuit, Jean-Pierre et Luc Dardenne (Belgique)
Mommy, Xavier Dolan (Canada)
Captives, Atom Egoyan (Canada)
Adieu au langage, Jean-Luc Godard (France/Suisse)
The Search, Michel Hazanavicius (France)
The Homesman, Tommy Lee Jones (Etats-Unis)
Deux fenêtres (Futatsume no mado), Naomi Kawase (Japon)
Mr. Turner, Mike Leigh (Grande-Bretagne)
Jimmy's Hall, Ken Loach (Grande-Bretagne)
Foxcatcher, Bennett Miller (Etats-Unis)
Le Meraviglie, Alice Rohrwacher (Italie)
Timbuktu, Abderrahmane Sissako (Mauritanie)
Relatos Salvajes (Wild Tales), Damian Szifron (Argentine)
Leviathan, Andrey Zvyagintsev (Russie).


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