Un Premier ministre contraint de revoir sa copie après avoir annoncé son cabinet et des spéculations à n'en plus finir sur la future équipe: trois mois après les législatives, la Tunisie espère enfin se doter d'un gouvernement. Initialement fixé au 27 janvier, le vote de confiance au Parlement sur la liste présentée par le Premier ministre désigné Habib Essid a été reporté, presque à la dernière minute, face aux critiques sur sa composition. L'équipe n'était pas assez représentative de la scène politique, a jugé le parti islamiste Ennahda, deuxième force du pays, tandis que le Front populaire, une coalition de gauche et d'extrême gauche, s'est dit sceptique sur son programme. Ces deux formations étaient absentes du gouvernement. Le vote est désormais prévu le 4 février, mais personne ne sait encore quelle liste soumettra aux députés M.Essid, un «indépendant» qui fut ministre de l'Intérieur après la révolution mais a aussi occupé plusieurs postes sous Zine El Abidine Ben Ali. Chargé le 5 janvier de former un cabinet par le président Béji Caïd Essebsi, le Premier ministre désigné a aussitôt entamé des pourparlers avec des partis aux orientations parfois radicalement opposées. Face à des exigences souvent irréconciliables, M.Essid décide de trancher dans le vif et présente à la surprise générale le 23 janvier «un gouvernement de compétences nationales», formé de membres de Nidaa Tounès, vainqueur des législatives du 26 octobre, de l'Union patriotique libre (UPL), troisième force au Parlement, ainsi que d'indépendants et de personnalités de la société civile. La stupeur passée, la levée de boucliers est quasi-immédiate. En tête, les islamistes d'Ennahda qui annoncent qu'ils ne voteront pas la confiance à ce gouvernement, et même certaines figures de Nidaa Tounès qui ne cachent pas leur mécontentement. Le parti libéral Afek Tounes, qui se posait en allié naturel de Nidaa Tounès, a lui claqué la porte des négociations en dénonçant l'opacité des pourparlers. «Ce qui a été annoncé, ce n'est pas ce dont nous avions parlé», dit Houcine Jaziri, un dirigeant d'Ennahda. «Il y a des gens dont on ne sait pas comment ils se sont retrouvés dans le gouvernement». Les CV de certains ministres sont aussi loin de faire l'unanimité. Le ministre désigné de la Jeunesse et des sports est ainsi membre de l'UPL, dont le président n'est autre que le patron d'un des plus grands clubs de foot du pays, faisant craindre un conflit d'intérêts. Tandis que Najem Gharsalli, à qui a échu l'Intérieur, a été accusé par des magistrats d'avoir collaboré avec le régime Ben Ali. Craignant que le vote de confiance n'aboutisse à un camouflet, M.Essid reprend ses consultations pour revoir sa liste, s'attirant critiques et même moqueries. «Des ministres triés sur le volet et nommés la veille en grande pompe, mais qui sont remerciés au lever du jour. Le nouveau chef de gouvernement vient d'inventer une nouvelle race de dirigeants, à savoir les ministres coup de vent'», ironise Le Quotidien, dénonçant «une farce». Et de nombreux Tunisiens de se gausser de leurs dirigeants en prenant l'exemple de la Grèce, où un gouvernement a été formé deux jours après des élections législatives. Si les spéculations vont bon train chez les observateurs, la principale inconnue concerne l'éventuelle participation d'Ennahda au gouvernement au sein d'un cabinet d'union nationale avec Nidaa Tounès, parti qui a pourtant fait de sa rhétorique anti-islamiste son fonds de commerce. «Il y a eu des consultations positives et sérieuses qui ouvrent un horizon à la participation si nous arrivons à un accord définitif», a déclaré le chef d'Ennahda Rached Ghannouchi. «Il est clair qu'on se dirige vers un gouvernement d'union nationale n'excluant personne». De quoi provoquer la fureur d'électeurs de Nidaa Tounès, dont certains ont appelé à manifester demain devant le siège du parti pour «exiger le respect de ses promesses électorales: ne pas s'allier avec Ennahda».