L'homme, phénix de la politique en Algérie, sait utiliser à merveille les instruments que lui accorde la démocratie pour les retourner contre elle. Saâd Abdallah Djaballah, allie à merveille un parler pondéré et religieux, à des tenues classiques, une barbe un tantinet hirsute et une calotte ne laissant guère planer de doute sur ses options politiques. Mieux, il se plaît, depuis ses nombreux succès remportés sur les partis de la coalition, à se définir comme la seule force d'opposition assez forte et assez crédible pour constituer la seule alternative au régime en place. C'est fort de ce nouveau « label » que personne n'oserait lui contester, que Djaballah a entrepris méthodiquement un véritable travail de fourmi visant exclusivement à bloquer l'ensemble des réformes entreprises par Bouteflika dans le cadre de l'instauration d'une seconde République. Il en a été ainsi pour la réforme de l'école, les amendements introduits au code de la famille, se permettant également de lancer de temps à autre des estocades, plantant des banderilles dans les flancs du pouvoir, lesquelles ont consisté notamment à empêcher la venue de Macias à Alger, l'interdiction d'importation des boissons alcoolisées, le combat toujours acharné en direction des droits civiques et politiques des anciens dirigeants de l'ex-Fis, mais aussi une surenchère toujours recommencée par rapport au plan présidentiel portant réconciliation nationale. Djaballah, véritable outsider de la politique, qui s'est vu deux fois durant aux portes de la présidence de la République, au point où même l'institution militaire, par la voix de son ancien chef d'état-major, avait clairement évoqué l'éventualité de son accession au Palais d'El-Mouradia, est devenu une sorte de joker dans un jeu quasi fermé avec un premier magistrat élu à 84,99 % des suffrages exprimés et une opposition littéralement laminée, à l'exception du PT et du mouvement El Islah. Devenu troisième force politique du pays, talonnant de très près le RND et tenant la dragée haute à son frère-ennemi le MSP, le mouvement El Islah va jusqu'à se targuer de représenter le courant le plus puissant de la société, représentant la majorité absolue, à qui le pouvoir appartiendrait déjà n'était la fraude électorale qui continuerait de miner les institutions algériennes. Toujours est-il que, grisé par ses victoires successives, après avoir touché le fond à la suite de ses démêlés avec ses anciens «amis» du mouvement Ennahda, Djaballah, sorte de Benhadj légal, a appris à profiter et à user jusqu'à la corde l'ensemble des instruments que lui accorde la démocratie dans le but de s'attaquer à elle. N'est-ce pas le groupe parlementaire du mouvement El Islah, ne représentant qu'un peu plus de 10 % des parlementaires à l'APN, qui a réussi à introduire un amendement impensable à la loi de finances 2004, ne proposant rien moins que l'interdiction des l'importation de boissons alcoolisées. Même si l'article de loi est demeuré quasiment sans conséquences sur ce marché que l'on dit aux mains de puissants lobbies, l'effet d'annonce n'en était pas moins là. Djaballah s'en sentait d'autant plus rasséréné, qu'il faisait partie du groupe de conservateurs et d'islamistes partis en campagne contre Bouteflika, dès les premiers mois de son élection en 1999, pour l'empêcher d'inviter à Alger le chanteur Enrico Macias. La force du courant que représente Djaballah, un homme qui cherche à s'ériger en successeur sans partage de l'ex-FIS, a fait qu'il a été un des signataires appelant à la libération de Benhadj et Madani une fois leur peine purgée. Un appel du pied à peine voilé en direction de la base du parti dissous, porté sur la vague d'un phénomène social sans précédent, qui l'avait porté jusqu'à l'antichambre du pouvoir avant qu'il ne retombe de très haut, laissant sur le pavé une base désarticulée, vannée, mais semble-t-il prête à s'aligner de nouveau derrière le premier « messie» venu. Or, le langage messianique, Djaballah n'en manque positivement pas. Dans toutes ses campagnes, même s'il n'hésite pas à user des «textes alliés» que lui offrent les lois de la République, jamais il n'a hésité à bâtir la quasi-intégralité de ses argumentaires sur les préceptes islamiques, ponctuant la plupart de ses sorties, déclarations et meetings d'un nombre effarant de versets coraniques. Devenu leader de l'opposition, depuis que le FFS n'est somme toute que l'ombre de lui-même, Djaballah aura été de tous les combats, bloquant ostensiblement, mais tant que faire se peut, la plupart des projets de réforme initiés par le président. Si le président a réussi à passer l'écueil islamiste en matière de réforme de l'école en la contournant, il n'en est rien à propos du code de la famille où le combat contre le nouveau texte a placé de facto Djaballah à la tête des contestataires, au point où le MSP n'en finit plus de lui adresser des appels du pied, mais en vain. L'homme, qui se sent assez fort pour faire cavalier seul, qui compte à son actif plusieurs «succès» individuels, et qui a pour lui l'atout majeur de son jeune âge, sait bien que celui qui veut aller loin ménage sa monture, mais aussi ses effets. Aussi, Djaballah, qui n'en finit plus d'étonner, réserve sans doute aux observateurs bien d'autres surprises.