Bibliothèque nationale d'Algérie (Alger-Hamma). C'est là que le Livre algérien prend de l'importance pour nourrir d'autres livres.... ... mais qui pensaient en algEriens! Le pire, pour une littérature nationale, c'est de s'assimiler une littérature étrangère, si magnifique soit-elle, sans sauvegarder son âme ou de se laisser phagocyter par elle et donc d'accepter de devenir Arlequin sans charme. C'est alors soit drame d'amour inassouvi soit désespérance de cesser d'être soi-même. Ce Temps de lire sera développé en deux parties. Aujourd'hui, c'est la première partie, elle porte sur «Ces indigènes qui écrivaient en français»; mercredi prochain, la seconde partie sera consacrée à la présentation de l'ouvrage Mohammed Ould Cheikh: un romancier algérien des années trente d'Ahmed Lanasri paru à l'Office des Publications Universitaires. 1986. Aussi, avant d'aller plus avant dans cette réflexion sur la littérature algérienne écrite «en français» et saisie par l'Histoire nationale et intégrée en elle, je me sens la nécessité d'évoquer ce que beaucoup observent, semble-t-il, dans les recoins de certains centres d'activités dites littéraires plus ou moins occultes, plus ou moins médiatisés. Mais vivement que cela ne soit que nébuleuse ou vision déformée par une macula en mauvais état! «La langue de l'ennemi» Ainsi, dans un tout autre ordre d'idées, doit-on dire que la littérature - en l'occurrence la nôtre, l'algérienne - n'a pas d'âge préfixé pour s'affirmer et être elle-même, et si l'on ramène son âge à celui d'une génération ou même à deux, c'est que l'on est d'une certaine manière plus vieux soi-même que l'on y paraît, que son esprit est probablement moins ouvert que celui de l'adulte sans instruction et que sa mémoire est autant inculte qu'une parcelle de terre en friche. De même, peut-être, faudrait-il se prémunir contre la «gendelettrerie», en formation actuellement chez nous, laquelle pense toujours plus vite que ses admirateurs conditionnés auxquels elle fait apprendre qu'il n'est de littérature que ce qui se consomme aujourd'hui lors de rencontres particulières embaumées à «l'international», car les littératures anciennes tout comme les intellectuels de «l'ancienne école» sont «dépassés» (sic), leurs enseignements «obsolètes» (sic), eux-mêmes «périmés» (sic). Hélas, oui, il arrive que des «universitaires» - «des» donc pas tous - croient conforter leur statut de «professeurs chercheurs» en dénigrant avec orgueil et mépris nos littérateurs, fondateurs courageux, sains d'esprit, jaloux de leur algérianité, ceux qui ont «entre hier et aujourd'hui» plutôt bien édifié la littérature algérienne, celle-là qui justement s'est distinguée comme telle, qui a acquis ses titres de gloire en puisant dans les émotions populaires nationales et les a élevées au rang de l'universel. Encore qu'il y ait eu quelques-uns de «la gendelettrerie de l'époque» qui se sont employés à leur disputer - pour ne pas dire jalouser - leur foi en une littérature de combat pour l'indépendance... Et bien auparavant, il y a eu ce que l'on aurait pu appeler «La littérature des indigènes écrivant en français»... Quoi! En ce moment même où l'Occident refait son histoire et sa littérature pour renforcer sa toute-puissance sur le reste du monde, devrions-nous - pour paraître à la page, - quelle page? - renoncer à un patrimoine littéraire riche, glorieux, inépuisable dont les auteurs sont autant de drapeaux algériens flottant que certaines «têtes bien-pensantes» ont déjà pliés, remisés, oubliés? Oui, ces Anciens sont encombrants pour «les intellectuels à la manque», les laudateurs zélés de ce type de mouvement nouveau, le néo-colonialisme sans odeur, sans ombre, car sans corps, et à la voix basse, comme les valets du colonialisme d'il y a maintenant plus d'un demi-siècle. «Mon Dieu, disait l'aîné le juste Mouloud Mammeri (cité par Michel Louyot dans son émouvant article, dédié à Mme Djoher Amhis, «La langue de l'ennemi»), en d'autres temps, à propos d'autres espèces d'«auteurs» en tout genre, qu'il était loin l'autre, qu'il était donc loin!» Mouloud Mammeri était un clerc parmi les plus grands: Moufdi Zakaria, Malek Haddad, Kateb Yacine, Cheikh Mohamed Laid Khalifa, Malek Bennabi, Jean Sénac, Mourad Bourboune, Kaddour M'Hamsadji, Tewfik El Madani, M'hamed Aoune, Jean Pelegri, Assia Djebar, Anna Gréki, Djamel Amrani, Tarik Maschino, Mohand Tazerout,... Ils avaient, pleins d'espoir, sans hésiter, adhéré à la Première Union des Ecrivains Algériens (28 octobre 1963), présidée par Mouloud Mammeri. Ils étaient tous des clercs vigilants en littérature algérienne. Et s'agissant de l'un d'entre eux, il me plaît de rappeler ce qu'écrivait Abdellali Merdaci, docteur en linguistique, écrivain-universitaire, dans une brillante contribution: «Celui qui proclamait avec humilité n'être qu'un clerc (un «vrai clerc») était - dans la fidélité à son humanisme ancestral - un vrai Algérien. ( ́ ́Un troublant déni d'algérianité: Mouloud Mammeri ou la seconde mort d'un juste ́ ́, in Le Soir d'Algérie du 16 mai 2011).» L'acculturation et l'assimilation impossible Cette littérature au sens large du terme existe bel et bien, mais hélas! elle est méconnue, peu enseignée à l'Ecole algérienne. La jeunesse estudiantine ne connaît que les auteurs et ne lit que les ouvrages que l'Université programme, assurément en fonction d'objectifs nationaux de formation et selon le goût des enseignants. Mais la réalité est là, Le Livre Algérien n'est pas hissé au haut de la Connaissance nationale, sauf si, retour de manivelle «heureux», l'écrivain, honoré à l'étranger, retourne - oeuvre du Destin - dans son pays. Pourtant, à voir de près, la littérature algérienne «écrite en français» a été semble-t-il initiée, en 1920, par des auteurs algériens instruits davantage à l'école de Jules Ferry qu'à l'école de Charlemagne, par séduction, par admiration puis par imitation des auteurs de la littérature française. La toute première génération d'écrivains s'est manifestée par des essais à caractère politique et social. C'est une prose d'idées. On retient le nom du célèbre Hamdane Ben Khodja (1775-1840) qui les précède en publiant Le Miroir, en arabe El-Mir'ât (1833), et les noms de Ismaël Hamet, Hadj Cherif Cadi, Si M'hamed Ben Rahal (qui aurait aussi écrit, en1891, la première nouvelle en langue française, «La vengeance du cheikh»), le Dr Taïeb Morsly, Chérif Benhabilès, l'Emir Khaled et enfin le jeune Ferhat Abbas. Il faut dire, en passant, que le fameux hebdomadaire, El-Akhbâr, dont le premier numéro est paru à Alger, le 30 novembre 1902, a révélé, sous la plume de son animateur Victor Barrucand, esprit libéral pour son temps, journaliste et poète, l'un des premiers romanciers musulmans, Abdelkader Fikri de son vrai nom Abdelkader Hadj Hamou (1891-1953), auteur de Zohra, la femme du mineur, éd. du Monde Moderne, Paris, 1925. Avant lui, Ben Si Ahmed Bencherif (1879-1921) a publié en 1920, chez Payot, Paris, le premier roman algérien, intitulé Ahmed Ben Mostefa, Goumier, avec une préface d'Albert de Pouvourville. Paraissent ensuite d'autres essais romanesques sur l'acculturation et l'assimilation impossible: Chukri Khodja (1891-1967), pseudonyme de Hassan Khodja Hamdan (Mamoun, l'ébauche d'un idéal, Paris, 1928), Mohammed Ould Cheikh (1905-1938), premier roman algérien de langue française, édité en Algérie (Myriam dans les palmes, Oran, 1936), Aly El Hammamy (1906-1962), émigré en Egypte (Idris, Le Caire, 1948), Jean Amrouche (1906-1962), émigré en Tunisie, deux recueils de poèmes: Cendres, 1934, Etoile secrète, 1937 et Chants berbères de Kabylie, 1939. On observera un ton plus accentué, plus significatif dans le début d'une littérature algérienne traitant des rapports entre la société asservie, détournée de sa culture qu'elle représente, et la société coloniale conquérante. On peut citer des auteurs qui, sans trop d'illusion de se faire entendre, se sont exprimés dans la langue du colonisateur. Dans l'ensemble, leurs oeuvres sont moins des revendications que, si j'ose dire, des exposés des motifs, même si la plupart de ces oeuvres sont formées au hasard d'une esthétique qui se veut accompagnatrice du discours. Mais l'écrivain n'est écrivain que par la puissance de sa volonté à exposer les choses réelles qui, en quelque sorte, lui sautent aux yeux. Par exemple, il faut citer: - Aïssa Zehar (1899-1963) qui publie un roman édité en Algérie (Hind à l'âme pure ou une histoire d'une mère, Alger, 1942). - Rabah Zenati (1877-1957) partisan acharné de l'assimilation, publie un roman (Bou-el-Nouar, le jeune algérien, 1944, Grand prix littéraire de l'Algérie). - Djamila Debêche (1926-) publie Leïla, jeune fille d'Alger, Alger, 1947, Aziza, Alger, 1952). - Taos Amrouche, soeur de Jean (1913-1976) publie Jacinthe noire, Paris, Charlot, 1947, Rue des tambourins (sous le nom: Taos Marguerite), Paris, La Table ronde, 1960. En somme, La littérature algérienne entre hier et aujourd'hui existe bellement. Elle continuera à être politique au sens antique du terme polis, c'est-à-dire cité, c'est-à-dire citoyenne et, en arabe, au sens de siyâssa, c'est-à-dire amabilité, sagesse, vraie politique. (*) La littérature algérienne entre hier et aujourd'hui, (Titre emprunté de la conférence prononcée par K. M'H., le jeudi 16 avril 2009 à Paris au Centre Culturel Algérien)