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Le gouvernement frappe fort
FLAMBEE DE GRÈVES ET GROGNE SOCIALE DANS LE PAYS
Publié dans L'Expression le 23 - 10 - 2004

La sortie du chef du gouvernement confirme l'analyse que nous faisions au lendemain de la bipartite de ce 15 octobre.
Les pouvoirs publics, désormais ne se laisseront plus faire. Sans même attendre que les lois 90-11 et 90-14, respectivement relatives aux relations du travail et au syndicalisme, soient amendées, le gouvernement a décidé de mettre le holà aux mouvements de grève qui tendent à gagner, de proche en proche, l'ensemble des secteurs d'activités du pays. Lors du conseil du gouvernement de ce mercredi, Ouyahia, se basant sur une communication faite par le ministre de la Santé, lequel fait face à un débrayage illimité des praticiens spécialistes, a clairement affiché la couleur. Il ne sera désormais plus question de carotte, mais seulement de bâton.
Dans ses remarques, en effet, le conseil du gouvernement souligne en premier chef que «l'ensemble des catégories des personnels médicaux et paramédicaux ont connu ces deux dernières années des augmentations appréciables de leurs revenus, salaires et indemnités compris. C'est le cas des personnels paramédicaux qui ont obtenu des augmentations variant entre 26 et 32 %». Il est ajouté, pour ce qui est des médecins spécialistes, praticiens de la santé publique, qu'ils «ont bénéficié d'une augmentation de 85 % avec un revenu brut passé de 32.100 à 59.700 DA et un revenu net passé de 26.500 à 44 500 DA». Ces hausses, que nul ne saurait contester et qui ont concerné dans le même temps les enseignants de tous les paliers y compris le supérieur, avaient été rendues possibles par la bipartite qui avait eu lieu au mois d'août 2003, et qui avait permis à cette époque de désamorcer une rentrée sociale pour le moins explosive. Il faut croire donc que ces hausses, pour le moins substantielles, comme nous l'écrivions à cette époque, n'auraient pas été jugées suffisantes. A moins que certaines grèves n'obéissent à d'autres considérations, notamment politiciennes, comme l'avait clairement suggéré Mourad Redjimi, ministre de la Santé. Il convient de relever à ce propos, que cette flambée sociale a curieusement pris forme au lendemain de l'annonce du second plan de soutien à la relance économique, fort d'une enveloppe quinquennale de pas moins de 50 milliards de dollars. Le même phénomène, est-il besoin de le rappeler ici, avait été observé, allant jusqu'aux déclenchements d'échauffourées aux quatre coins du pays, quelques semaines avant l'entrée en vigueur du premier plan de Bouteflika, dont les résultats se sont malgré tout avéré probants. Le conseil du gouvernement revient également sur la demande, depuis toujours jugée irrecevable, de promotion des médecins spécialistes sans passer par les concours. C'est pourquoi, dans son communiqué, «le gouvernement déplore» ce qu'il qualifie de «détournement du droit de grève que subit le secteur de la santé publique, un détournement sacrifiant les malades».
Rappelant au passage qu'il s'est attelé à finaliser le statut général de la fonction publique, feignant d'oublier au passage, que l'Ugta n'est pas entièrement d'accord avec le texte gouvernemental, ce dernier, qui va jusqu'à prétendre demeurer ouvert au dialogue social, n'en ajoute pas moins qu'il ne «saurait accepter de se laisser entraîner dans des revendications salariales populistes qui mettent en danger les finances publiques». La déclaration ne laisse de surprendre pour différentes raisons. La première étant comme de juste que les études les plus «indulgentes» à l'adresse des pouvoirs publics confirment qu'il faudrait un peu plus de 22.000 DA à une famille de 5 personnes pour subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Ouyahia, sous prétexte de lutte contre le populisme, nous disent ainsi des sources syndicales, «s'est laissé entraîner à son tour». Toujours est-il que les nouvelles directives relatives aux salaires, ces derniers «évolueront à l'avenir en Algérie comme partout ailleurs dans le monde, par référence à la croissance et à l'inflation». L'argument, précisent encore nos sources «n'est pas tout à fait dénué de sens à ceci près qu'il aurait fallu le brandir quand le pouvoir d'achat n'avait eu de cesse de chuter du fait de la dévaluation du dinar et de la stagnation des salaires». Or, il n'en a été rien et ce ne serait qu'un juste retour des choses pour que tous les sacrifices des travailleurs soient enfin pris en considération à un moment où une embellie financière sans précédent est enregistrée. Il convient d'ajouter, à la décharge du gouvernement, que cette embellie reste pour le moins virtuelle tant qu'elle demeure en grande partie tributaire des seuls revenus pétroliers, cela même si les premiers signes de la relance économique commencent quand même à se faire sentir. Sur le plan purement syndical, il convient de relever que le gouvernement semble avoir tiré prétexte du durcissement de ton de certains syndicats, dits autonomes, pour mettre en application des mesures que l'Ugta, ainsi que certains partis politiques, dont le PT, ont toujours rejetées. La Centrale, qui devrait réagir à ce conseil de gouvernement «historique», est d'autant plus concernée que plusieurs secteurs et syndicats dépendant d'elle, ont déjà débrayé, comme c'est le cas des impôts et du Trésor, sous la conduite d'Ahmed Zouaoui, mais aussi de l'agroalimentaire, lequel avait accepté de surseoir à un large mouvement de protestation en attendant les résultats de cette dernière bipartite. La centrale, qui a toujours su manoeuvrer convenablement entre les desiderata sociaux d'un côté et les minimes concessions du pouvoir de l'autre, se trouve aujourd'hui prise entre deux feux, puisque même ses troupes, quand elles feront grève, seront durement châtiées, à commencer par les retraits sur salaires et le recours systématique à la justice. Le fameux pacte social que Bouteflika en personne avait souhaité instaurer, risque fort de se mettre en place à sens unique. Si les pouvoirs publics pensent ne plus avoir besoin d'une centrale syndicale forte et expérimentée comme l'Ugta, ils se trompent forcément, indiquent des analystes, qui précisent que les millions de travailleurs que compte le pays, s'ils ne sont plus aiguillés, risquent fort d'aller vers des mouvements anarchiques tant la situation sociale de larges pans de la société, est devenue intenable.
Une chose reste sûre, ce conseil de gouvernement ne restera pas sans conséquences...


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