Quels que soient les chiffres, il faut réduire les proportions de l'informel Le désaveu est flagrant, l'écart est immense, trop criant pour passer inaperçu. Entre 40 milliards de dollars, 10 milliards et 7 milliards de dollars, il y a quand même une sacrée différence. Les chiffres sont au gouvernement ce que la langue d'Esope est à la cuisine: on peut en faire à peu près ce qu'on veut et à notre convenance. Mais en la matière, le chef de l'Exécutif, Sellal, s'avère un piètre cuistot. Depuis le lancement de l'opération de la bancarisation de l'argent de l'informel, le gouvernement multiplie les faux en annonçant notamment des chiffres totalement contradictoires pour aboutir à une situation de flou total au sujet de cette manne financière tant convoitée en ces moments de crise. Engagés dans un combat contre l'informel, nos responsables se noient dans le flou des statistiques. Ce n'est pas le moindre des paradoxes. Après avoir entamé l'opération en août dernier, le Premier ministre Abdelmalek Sellal a avancé le chiffre de 3700 milliards de dinars, soit l'équivalent de 40 milliards de dollars, comme étant la masse financière détenue par les magnats de l'informel et qui est donc censée être totalement bancarisée au terme de cette opération. Quelques jours plus tard, c'est son ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa qui le déjuge publiquement: «Les 3700 milliards de dinars est un chiffre agrandi», désavoue-t-il avant d'affirmer que «nous avons un potentiel de 1000 à 1300 milliards de dinars». Le ministre qui s'exprimait sur les ondes de la Radio nationale Chaîne III a même ajouté que l'estimation a été faite par les institutions bancaires nationales et de ce fait ne souffre d'aucune mauvaise appréciation. «C'est un potentiel qui a été évalué par la Banque d'Algérie à partir de la masse monétaire existante», a-t-il appuyé. Le Premier ministre et son grand argentier ne sont pas les seules «victimes» de l'informel. Avant-hier, un autre chiffre a été avancé à Constantine où un responsable d'une institution financière a balancé un autre chiffre revoyant à la baisse la «bourse de l'informel» Une masse monétaire détenue par les tenants du marché parallèle, évaluée, selon une estimation de la Banque d'Algérie, de «700 à 800 milliards de dinars», doit être bancarisée, a indiqué ce responsable. Le désaveu est flagrant, l'écart est immense, trop criant pour passer inaperçu. Entre 40 milliards de dollars, 10 milliards et 7 milliards de dollars, il y a quand même une sacrée différence. Comment les services du Premier ministère et ceux du département des finances peuvent-ils diverger à ce point sur une question aussi stratégique pour l'économie nationale? Ou alors s'agit-il d'un déficit de communication entre les institutions? On est passé du temps où les statistiques faisaient partie du secret d'Etat et jalousement gardées, de la rétention de l'information économique à une inflation de chiffres balancés sans la moindre précaution. Ces contradictions, ces chiffres qui s'entrechoquent résument à eux seuls toute la complexité d'un phénomène que les autorités ont voulu solutionner avec un simple appel lancé aux détenteurs de cet argent. On a dit que dans un premier temps, cette opération souffrait d'une intransigeance et de l'autorité de l'Etat ainsi que de mesures de coercition pour contraindre les récalcitrants. Un délai de 15 mois a été accordé aux barons de l'informel pour intégrer le circuit bancaire. Au-delà de ce délai, l'Etat va sévir. Selon la Banque d'Algérie, à partir du 1er janvier 2017, «les personnes disposant de fonds informels et n'ayant pas souscrit au programme de Mcfv feront cependant l'objet de redressements fiscaux avec l'application des pénalités et sanctions prévues en la matière». On a relevé ensuite le fait que le problème n'est pas celui des banques et de leur mobilisation. La faille se trouve dans la manière même avec laquelle cette mesure a été énoncée. Les économistes y décèlent «l'aspect antibancaire dans la mesure où elle ne comporte aucun nouveau service ou amélioration de prise en charge des clients en vue de convaincre les détenteurs d'argent hors circuit formel». Et voilà enfin qu'on retombe sur une improvisation, un manque de préparation et un flottement dans les chiffres. Ce qui fait craindre pour la crédibilité de l'opération elle-même.