Depuis, les gouvernements de droite et gauche ont entrepris une «politique de la ville» censée s'attaquer aux maux des quartiers déshérités, avec l'espoir de casser les «ghettos» et d'y faire revenir les classes moyennes. Dix ans après des révoltes urbaines, les plus graves dans l'histoire des banlieues françaises, rien n'a vraiment changé dans la vie des habitants des quartiers déshérités toujours frappés par la relégation sociale, malgré les discours volontaristes des dirigeants politiques. En visite dans un de ces quartiers, à La Courneuve (nord de Paris), le président socialiste François Hollande a affirmé mardi qu'il n'y avait «pas de quartier perdu dans la République» et affiché sa volonté d'assurer «l'égalité». Mais les sifflets qui l'ont accueilli témoignent de la désillusion de nombreux habitants qui avaient pourtant massivement voté pour lui en 2012. «Cela pourrait exploser à nouveau, car les injustices sociales sont toujours là et il y a un désespoir profond chez les jeunes», estime Mehdi Bigaderne, 32 ans, adjoint au maire de Clichy-sous-Bois (nord de Paris), d'où le mouvement était parti avant de gagner l'ensemble du territoire. Mehdi Bigaderne était éducateur de rue lorsque la mort de deux adolescents dans un transformateur électrique où ils s'étaient réfugiés pour fuir la police a mis le feu aux poudres dans cette ville de 30.000 habitants. C'était le 27 octobre 2005, Bouna Traoré, 15 ans, et Zyed Benna, 17 ans, rentraient de jouer au football. Ils n'avaient rien à se reprocher mais, habitués aux contrôles «au faciès», ils s'étaient mis à courir en voyant une voiture de police approcher. Dans la foulée, Clichy s'embrasait: jets de pierres sur les forces de l'ordre, incendies de voitures, saccages de bâtiments publics. «Il y avait un ras-le-bol, des contrôles de police très fréquents, la ville était mise à l'écart», raconte Karim, l'un des «émeutiers», alors âgé de 16 ans. «La mort de Zyed et Bouna, ça a été la goutte d'eau». «C'était une révolte sociale et urbaine spontanée», «une automutilation», analyse Mehdi Bigaderne. Les violences s'étendent ensuite à d'autres cités de banlieue peuplées comme Clichy d'un grand nombre d'immigrés pauvres, dans le nord, l'est, le sud et le sud-ouest de la France... Le pic est atteint dans la nuit du 6 au 7 novembre avec 274 communes touchées. Le 9 novembre, le gouvernement décrète l'état d'urgence. Lors du retour au calme le 17 novembre, on compte 10.000 véhicules brûlés, 300 bâtiments détruits ou dégradés, deux policiers blessés par balles, 6000 interpellations et 1300 personnes emprisonnées. A Clichy-sous-Bois, un quartier est méconnaissable: des immeubles bas aux appartements lumineux ont remplacé les tours en béton dégradées, une agence pour l'emploi, une maison de santé, un commissariat et une piscine ont ouvert. Mais il faut toujours 1H40 en transport en commun pour gagner Paris, distant d'à peine 15 km, et la mixité sociale n'est pas au rendez-vous. Après les attentats jihadistes de janvier (17 morts) qui ont fait craindre une radicalisation parmi les jeunes de banlieue, le Premier ministre Manuel Valls a assuré vouloir lutter contre «un apartheid territorial, social, ethnique». Selon un rapport officiel, le taux de chômage atteignait 23% dans les quartiers sensibles (contre 9% ailleurs) en 2013, et même 42% chez les jeunes de 15 à 24 ans. La crise financière de 2008 a provoqué «un appauvrissement considérable d'une grande partie de la population», souligne Didier Lapeyronnie, professeur de sociologie. «On observe un renforcement de la ségrégation sociale et raciale, et la population victime de cette ségrégation finit par fabriquer une contre-société», selon Didier Lapeyronnie.