Le ver est dans le fruit. C'est un vrai scandale qui secoue jusqu'au coeur du pouvoir. Le ministre des Travaux publics, M.Amar Ghoul, réputé pour son exemplarité tant morale que professionnelle, est directement interpellé pour s'expliquer publiquement sur une affaire de corruption doublée d'une tentative de détournement d'un bien, à l'origine privé, pour en faire une société à capitaux mixtes avec une société française qui exhale de forts relents de soufre. Le responsable de ce scandale, le P-DG de l'Entreprise nationale de panneaux de signalisation (Enps), M.Benkaïdali Abdelhamid, a fini par tomber, on ne peut mieux dire, dans le panneau ! Il a commis délibérément le crime inexpiable de traiter directement, et pour des desseins inavoués, avec une société française, sans avoir l'autorisation ni de la SGP dont il dépend, ni du ministre des Travaux publics, ni de celui de la Participation, M.Hamlaoui, encore moins du chef du gouvernement, M.Ahmed Ouyahia. La société française, Signature S.A. lui adresse, en date du 10 novembre 2004, une invitation à se rendre à Paris pour la deuxième quinzaine du même mois, dans le cadre d'un «projet» de partenariat dans le domaine de la signalisation routière. Cette invitation est signée, non pas par le P-DG de la société Signature, mais par la responsable commerciale, Dounia Silem, qui indique à M.Benkaïdali que «nous consentirons à prendre en charge les frais de votre épouse ainsi que ceux de votre fille Sarra dans le cas où votre visite accompagnée nous serait confirmée». Contre quoi la société française Signature s'engage-t-elle à prendre en charge la famille du P-DG algérien de l'Enps? A lui faciliter certainement auprès des autorités algériennes l'accession en qualité de partenaire pour produire des panneaux de signalisation, déjà largement fabriqués, en Algérie même, par deux sociétés privées. M.Benkaïdali a demandé une contrepartie pour ce «partenariat»: la prise en charge des frais de son épouse et de sa fille Sarra. Depuis quand les patrons des sociétés algériennes, se déplaçant à l'étranger, exigent-ils de leurs partenaires une prise en charge des «frais» de leurs épouses et progéniture? Avouons que la notion de «frais» est ici équivoque parce qu'elle prête à plusieurs traductions. A tout seigneur, tout honneur, si le gîte et le couvert étaient seulement concernés, car il est bien vrai que c'est bien un proverbe français qui dit «quand il y en a pour un, il y en a pour...». S'agit-il seulement de frais d'hébergement? Il est bien connu que les patrons de sociétés françaises et européennes ont recours à toutes les recettes que la morale réprouve pour trouver des débouchés à leurs entreprises. La notion de «frais» telle qu'elle est introduite ici, prête bel et bien à équivoque. Les frais que l'on peut consentir pour une épouse, sa fille ou son rejeton sont variables selon que l'on se déplace à Tunis, à Madrid ou à Paris, et selon aussi le pécule dont on dispose pour offrir un manteau de vison, le dernier Chanel exposé à la vitrine de l'avenue Montaigne ou, pourquoi pas, la voiture BMW de la dernière série. Ailleurs, dans les pays bien nantis, l'on vous renvoie l'ascenseur avec un chèque en blanc pour une affaire juteuse... Pour cette «invitation», il y a réellement au moins un délit: celui de la concussion. Au détriment de qui? D'abord de l'Etat algérien et du contribuable. M.Benkaïdali peut rétorquer, à qui veut l'entendre, que l'initiative de ce «voyage parisien» relève de son partenaire français et n'engage que lui. Un tel argument est irrecevable. Le quotidien L'Expression a reçu un autre document qui prouve, de manière irréfutable, comment des P-DG se jouent impunément aujourd'hui des biens appartenant aux Algériens. Mais avec quelle complicité et quelle «couverture» politique est-on tenté de conclure? C'est bien le P-DG algérien qui s'est fait inviter. Il a demandé, pour ce faire, un document à la société Signature pour obtenir un visa pour sa femme et sa fille Sarra. Et c'est certainement lui qui réclame la prise en charge des «frais» et non pas son hôte français qui le lui propose. La société française spécifie bien dans sa lettre: «Nous consentirons à prendre en charge les frais de votre épouse, etc.». C'est le mot consenti qui a une charge délictueuse. Tous les dictionnaires de la langue française, du Larousse au Robert, vous expliquent que le verbe CONSENTIR va de pair avec DEMANDER. Et lorsque l'on CONSENT, l'on accorde un avantage, un privilège à quelqu'un. M.Benkaïdali est le seul à savoir comment et contre quoi il bénéficie avec les siens de cette «générosité» bien gauloise! Selon nos investigations, le P-DG de l'Enps a convaincu les patrons de Signature d'entrer en partenariat avec lui. Le marché est juteux. 72% de parts de marché sont à prendre, selon lui. Le ministère des Travaux publics a un besoin immense en panneaux de signalisation depuis l'arrivée d'Amar Ghoul à sa tête. Toute l'Algérie est en construction. Un budget spécial de deux millions de dinars est CONSENTI à cet effet. Secret de polichinelle, pourquoi négocie-t-on en catimini l'achat depuis l'étranger de 15.000 panneaux de signalisation, payables en devises? Mais qui sont donc ces protecteurs tout-puissants de M.Benkaïdali au point qu'il a fini par battre le Guinness du record de longévité à la tête d'une entreprise publique? Il compte dix-huit ans d'ancienneté à la tête de l'Enps ! Il avait été nommé par le ministre des Travaux publics, sous Chadli Bendjedid, au poste de directeur général. Ce ministre s'appelait M.Ahmed Benfreha. La famille de ce dernier est liée par alliance à celle de Benkaïdali. Voilà à quoi est souvent dû le secret de la réussite en Algérie. Aujourd'hui, le fils de cet ancien ministre est directeur technique de l'Enps. Il s'appelle Benfreha Mourrad. Le chef du gouvernement, M.Ahmed Ouyahia, qui a la responsabilité de la gestion des entreprises publiques à travers les SGP, acceptera-t-il que de tels comportements puissent encore prévaloir sous sa gouvernance? Jusqu'à quand les Algériens accepteront-ils que l'on confonde biens publics et biens privés, et que des milieux occultes continuent à sévir en toute impunité en recourant à des pratiques dolosives au détriment de l'intérêt public? Le chef du gouvernement et son ministre, M.Amar Ghoul, doivent réagir à cet état de fait. Figurant sur la liste des entreprises privatisables, l'Enps appartient toujours en fait à M.Ould Hocine Mohamed Cherif, un moudjahid, un héros de la Wilaya IV, qui en a été spolié à la suite d'une cabale politique fomentée contre lui dans les années 80. Les témoignages de personnalités de la Révolution algérienne tels que ceux du colonel Ahmed Bencherif, du général Mustapha Chelloufi, tous deux anciens commandants en chef de la Gendarmerie nationale, déjà publiés dans la presse, sont sans équivoque. «Ce bien, disent-ils en substance, n'a jamais appartenu à la gendarmerie.» D'autres personnalités de la Révolution à l'exemple de Hadj Ben Alla, ancien président de l'assemblée nationale, de Mohamed Mechati, membre des «22» et des figures prestigieuses de Novembre n'ont pas cessé de crier au scandale et de dénoncer ce qui s'apparente aujourd'hui à un vrai déni de justice. Pis encore, Ould Hocine a même été condamné par un tribunal militaire avant d'être par la suite réhabilité et son innocence prouvée. Mais pourquoi un tribunal militaire pour ce moudjahid dont tous ces compagnons qualifient pourtant le comportement et le parcours de «modèles à suivre»? Les chefs de la wilaya IV n'étaient, on le sait, toujours pas en odeur de sainteté jusqu'au règne de Chadli. Mais qui sont donc ces gens, tapis dans l'ombre, qui ont juré de l'abattre? A vrai dire, nous en trouvons dans tous les secteurs: administration, justice et parfois jusqu'au coeur battant du pouvoir. Oui, c'est bien la vérité, car sinon «l'affaire Ould Hocine» aurait dû connaître depuis assez longtemps son épilogue. Jusqu'à quand la haine continuera à gérer ce pays? Son bien qu'il considère, à bon droit, inaliénable, lui a été saisi, nationalisé. On ne sait toujours pas sur quelle base juridique, sur la décision de quel ministre ou de quel général, s'il y a lieu de le dire, cette mesure de spoliation d'un bien appartenant à un moudjahid avait été prise. Ould Hocine avait obtenu gain de cause devant la justice qui a décidé de lui restituer son bien. Il s'est heurté à un vrai barrage pour l'exécution de cette décision de justice. Même un juge de la Cour suprême a été pris en flagrant délit dans le traitement de ce dossier. Plainte avait été déposée par Ould Hocine et ce juge a fini par être suspendu et son dossier mis en instruction. Mais pourquoi tout ce gâchis? L'affaire opposant le moudjahid Ould Hocine à l'actuel P-DG de l'Enps, M.Benkaïdali, au sujet de l'identité du vrai propriétaire, est toujours pendante devant les tribunaux. Ould Hocine a publié dans les journaux, une annonce mettant en garde tout éventuel souscripteur au rachat de cette entreprise figurant sur la liste des «privatisables». Mais cela suffit-il?