Le potentiel d'exposition solaire et l'étendue du territoire algérien peuvent alimenter l'ensemble de l'Europe, voire du continent africain Et si nous entrions vraiment dans la troisième révolution industrielle! Eh oui...! C'est bien depuis Houston, capitale de l'industrie pétrolière, que le ministre algérien de l'Energie, M. Nourredine Bouterfa, a annoncé l'ouverture prochaine d'un appel d'offres pour la réalisation de la plus grande centrale photovoltaïque du monde. 4000 mégawatts...! Six fois plus que l'actuelle future plus grande centrale du monde, celle du Maroc, «Nour», qui prévoit d'atteindre les 580 MW. Ces 4000 MW ne sont qu'une partie d'un programme beaucoup plus ambitieux, qui est de produire 22.000 MW (le tiers des besoins du pays) à partir des énergies renouvelables, pour l'horizon 2030. Cette entreprise paraît évidente et nécessaire pour assurer la transition énergétique de l'Algérie et la faire entrer dans un monde plus durable. Cela semble naturel vu le potentiel solaire de l'Algérie. Cependant, arrêtons-nous un instant sur le modèle qui nous est proposé ici! Explorons cette production énergétique dans une perspective de développement transsectoriel et surtout territorial. D'après Jeremy Rifkin, nous serions à l'aube d'une troisième révolution industrielle qui apporterait les conditions d'un changement de paradigme économique et sociétal. Elle contribuerait, selon lui, non pas à mettre fin au capitalisme comme le prédit le sociologue Immanuel Wallerstein, mais à le réinventer sous une forme nouvelle. Cette révolution, comme les deux précédentes, se base sur la conjugaison de trois éléments: l'apparition de nouvelles énergies, de nouveaux moyens de communication et de nouveaux moyens de transport. La première révolution industrielle a été celle du charbon, du télégraphe et du chemin de fer. La seconde, dans laquelle Houston fut un acteur majeur, a été celle du pétrole, du téléphone et de l'automobile. La troisième quant à elle se baserait sur les énergies renouvelables, Internet et les nouveaux modes de transports, dont nous ne mesurons pas encore toutes les innovations à venir. Les deux premières révolutions industrielles ont eu besoin de construire des infrastructures en réseau avec des systèmes centralisés qui ont permis des économies d'échelle; réalisés autant par les Etats que par les grands groupes privés. C'est particulièrement le cas pour l'industrie pétrolière et la production énergétique qui en découle. Elle s'est structurée autour de centrales de production qui distribuent l'énergie aux points les plus éloignés du territoire en utilisant un réseau d'alimentation en matière première et un réseau de distribution. Dans le cas des énergies renouvelables et particulièrement de l'énergie solaire, cette logique est remise en question. D'abord, cette technologie permet d'installer des centrales à n'importe quel point du territoire sans contraintes préalables liées à l'acheminement de matières premières, mais avec le problème, pas encore résolu aujourd'hui, de stocker l'énergie produite. D'autre part, n'importe quel bâtiment peut devenir non seulement autonome, mais aussi producteur d'électricité. Tout bâtiment devient potentiellement une centrale! Si telle est la nouvelle logique, pourquoi donc s'entêter à construire des «Méga centrales», qui se basent sur les systèmes exclusivement centralisés des deux premières révolutions industrielles, et qui s'annoncent déjà obsolètes? Pourquoi ne pas profiter de cette transition énergétique pour faire entrer l'Algérie dans la troisième révolution industrielle? Pour ce faire, il faut repenser l'entièreté du système dans une logique de développement territorial et non plus exclusivement de production d'énergie. Il faut se baser sur la richesse du réseau et des infrastructures déjà existantes en les adaptant à l'évolution des technologies, de l'économie et des systèmes d'échanges que les sociétés mettent déjà en place grâce à Internet, et particulièrement avec l'Internet des objets qui sera au coeur de cette troisième révolution industrielle. Pour cela, il est important que la stratégie de développement des énergies renouvelables en Algérie se base sur deux approches distinctes, mais qu'il faut penser simultanément. Premièrement, répondre aux besoins du pays et penser sa sortie des énergies fossiles. Si tel est l'objectif, alors la production de petites centrales réparties sur le territoire national semble être plus pertinente. Elles permettraient une réduction des coûts; la création d'emplois localisés qui entraînerait le développement des régions, voire des villes; ainsi qu'une sécurisation des sites en cas de risques, naturels ou humains (cas d'attaque terroriste par exemple, comme on a pu le voir à Tiguentourine). Cette démarche devrait être accompagnée de mesures juridiques, fiscales ou autres, pour inciter au développement de ces énergies. Elle devrait permettre à des particuliers non seulement de s'équiper en panneaux solaires, mais aussi de pouvoir réinjecter l'excédent de production dans le réseau général de distribution. En d'autres termes, revendre l'énergie qu'ils produisent. Cela suppose la mise en place d'un système intelligent et connecté qui permet la gestion de cette multitude de petits opérateurs qui apparaîtront incontestablement dans le paysage de la production énergétique à venir. Deuxièmement, exporter de l'énergie. Si l'objectif est de se positionner sur le marché international de la production d'électricité, alors les«Mégacentrales» trouvent toute leur justification. Le potentiel d'exposition solaire et l'étendue du territoire algérien peuvent en effet alimenter l'ensemble de l'Europe, voire du continent africain, si ce n'est plus. Aujourd'hui, l'investissement des pouvoirs publics devrait, à mon sens, se concentrer, non seulement sur la production de quelques centrales, mais surtout sur la mise en place progressive et contrôlée des conditions de fonctionnement de ces nouveaux systèmes décentralisés de production énergétique. Il est primordial de mesurer l'importance des enjeux qu'apportent ces transformations futures. Si les autorités publiques n'assurent pas cette transition de l'ensemble du système et restent figées dans un système centralisé, il se peut que la souveraineté et l'indépendance énergétique chère à l'Algérie soient remises en cause par des acteurs globaux qui auront une meilleure maîtrise de ce système. *Chercheur à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.