La pléthore d'articles de presse approximatifs sur les nouvelles mesures que le ministre de la Santé se propose de prendre a eu au moins un effet : celui d'irriter M. Aberkane, qui convoquera la presse nationale pour expliquer, s'expliquer, convaincre. «Il faut comprendre que 24 millions d'Algériens ne sont pas concernés par la révision des coûts des actes médicaux et des frais d'hospitalisation !», martèle, d'emblée, M.Aberkane. C'est le nombre de personnes entrant dans les catégories «exonérées» ou «couvertes, à des taux divers, par l'assurance maladie.» Les malades chroniques, les démunis dûment reconnus par leur commune ou par les structures de l'action sociale, les bénéficiaires des treize programmes de santé publique ne seront pas touchés. En outre, au cas où l'hospitalisation serait supérieure à 30 jours, le malade n'aura à payer que le premier mois. «Le système de santé national est ce que nous avons de plus important. Nous nous devons de le préserver!» La passion de M.Aberkane pour la santé publique s'affirme dans ses mots, dans ses gestes, dans ses actes. «Le niveau de prestation médicale est l'équivalent de ce qui se fait à l'étranger. Ce n'est pas parce qu'un citoyen a été mal ou pas pris en charge quelque part qu'il faut jeter le bébé avec l'eau du bain.» M. Aberkane concède que «les aspect hôtellerie sont largement en deçà des normes», ce qui, de son point de vue, justifie ces augmentations, qui serviront à «l'amélioration de l'accueil, de la restauration et de l'hébergement. Quel repas pouvez-vous fournir à un malade lors que la journée d'hospitalisation, toutes prestations confondues, est facturée à 10 dinars?» La proposition, qui est en débat au Conseil interministériel, et avec tous les partenaires du ministère qui interviennent dans le processus de sauvegarde de la santé, ne sera effective qu'une fois approuvée. Elle fera alors l'objet d'un arrêté interministériel santé-finances, conformément à la loi de finances 95. Mais la plus grosse colère de M.Aberkane éclatera à la suite d'une question sur l'impact des augmentations sur «les équilibres de la CNAS, déjà déficitaire.» «Moi, ministre, je ne peux pas décider d'une augmentation des salaires des personnels hospitaliers, parce qu'ils appartiennent à la Fonction publique. La CNAS, elle, peut ! On n'investit pas dans des infrastructures hospitalières quand on a un déficit. Pas dans un pays dont les hôpitaux fonctionnent à 50% de leurs capacités.» Le secrétaire général de l'UGTA en prendra pour son grade aussi: «Je ne vois pas le rapport entre M.Sidi Saïd et l'objet de notre rencontre,» dira M.Aberkane, commentant la Une d'un confrère qui a associé M.Sidi Saïd, photo à l'appui, au traitement du sujet. En excluant la Centrale du débat, le ministre en fait une démarche purement technique. L'Algérie dépense annuellement 58 dollars par habitant, en matière de santé, moins que le Maroc et la Tunisie. Les ressources du secteur viennent à 12% de l'Etat. La part de la sécurité sociale varie, bon an mal an, de 30 à 40%, sous forme de «forfait hôpitaux.» Le document que le ministère de la Santé met en circulation aux fins de débat, avait été conçu du temps où M. Abdelmoumen était à la tête de ce ministère: «Nous mettons en oeuvre une stratégie qui avait été conçue avant notre arrivée parce que nous sommes convaincus de son efficacité.» Cependant, M. Aberkane insiste sur la nécessité d'un «débat à tous les niveaux, de manière à ce que chaque intervenant soit personnellement engagé». Les maîtres-mots du ministre seront «équité et efficacité» de la politique nationale de santé. Sa guerre personnelle sera celle des «génériques et des tarifs référentiels». Pour bien comprendre les enjeux, il faut revenir un peu sur la structure du prix du produit pharmaceutique : le montant qui figure sur la vignette est un prix public TTC. Le pharmacien, l'importateur, le grossiste-distributeur calculent leur marge sur le prix hors taxe, selon des taux arrêtés par la réglementation du commerce. Plus le médicament est cher, plus la marge, en valeur absolue, est élevée. Voilà pourquoi tous les intermédiaires privilégient le produit d'importation et les noms de marque, plus chers. M. Aberkane n'éxagère pas quand il répond à une question à propos de la dépendance de l'Algérie d'un fournisseur d'insuline: «C'est un produit très complexe. Dangereux même.» Malgré toutes les explications, convaincantes, il n'en demeure pas moins que le recours au portefeuille des citoyens ou aux fonds de la Cnas constitue une solution de facilité adaptée «en attendant que la réforme de l'Etat et de ses structures touchent les établissements hospitaliers». En outre, l'amélioration promise reste subordonnée à une mentalité de service public dont les Algériens sont très loin de se prévaloir. La nouvelle politique nationale de santé, telle qu'elle est engagée, ressemble à une guerre froide entre différents départements ministériels. La vraie guerre, elle, se déroule ailleurs, en d'interminables batailles budgétaires.