Homme d'action, proche de Boussouf, Brahim Benbrahim a connu les prisons coloniales et la torture. Il raconte. Dans son ouvrage J'ai vécu le pire et le meilleur Mohamed Saïd Mazouzi évoque le chahid Allel Benbrahim. Ce dernier tomba au champ d'honneur à la fleur de l'âge. Il aura néanmoins marqué d'une empreinte indélébile l'histoire de toute une nation. Sa conscience révolutionnaire et son nationalisme précoce sont formidablement décrits par l'auteur dans tout un passage qui lui est consacré: «(...) c'est dans ces circonstances que j'ai donc connu Omar Boudaoud. Et la dernière réunion à laquelle nous avons participé ensemble regroupait tous les responsables du canton de Dellys (Sidi Daoud, Abbo). Assistait aussi à cette réunion quelqu'un dont je veux absolument citer le nom: Benbrahim Allel, un fils de cheminot que j'ai connu à l'école. Il était mon aîné d'un an ou deux, et je l'ai retrouvé dans l'organisation, à la tête de Sidi Daoud, Abbo à l'époque. Alors, nous avons été reçus par quelqu'un du douar de Makouda, pas loin de chez moi, qui nous a abrités et reçus pour la réunion. Il nous a accueillis comme on accueille chez nous, avec faste, dans le contexte de la pauvreté qui sévissait. Et notre réunion a duré longtemps. On avait commencé en début d'après-midi. Notre hôte habitait en dehors du village, un endroit discret avec tout autour des terrains, des vergers. Nous avons eu une longue discussion en termes de répartition des rôles, des missions...et la nuit avançait. Le temps passant, le propriétaire de la maison qui nous a accueillis a jugé le moment venu de nous servir le dîner. Il nous a apporté un couscous bien garni; il l'a posé et le responsable qui dirigeait la réunion, Zerouali Mohamed en l'occurrence, voulait arrêter la réunion pour manger. Je veux citer son nom même si je n'étais pas toujours été d'accord avec ses méthodes: il aimait improviser et en rajouter un peu. Mais c'est tout de même à l'intérieur de chez lui, à la maison où Messali l'accueillait en personne. Il aimait ce jeune militant comme d'autres d'ailleurs parce qu'il y avait beaucoup de jeunes qui avaient adhéré très tôt au parti, au Mouvement national. Hocine Lahouel était un parfait exemple de ces très jeunes militants. Il a adhéré très jeune. Tout le monde le connaissait au parti, comme un baroudeur, un militant de valeur et qui est mort presque dans la clandestinité, l'anonymat le plus total. Une injustice terrible qui n'honore pas l'Algérie, alors que pendant les années difficiles après sa libération de prison, il avait repris ses activités notamment durant les premières années difficiles du Mtld. C'était la vedette; il allait partout à travers le pays, organisait des réunions, expliquait le pourquoi du changement du sigle PPA-Mtld. C'est un grand monsieur qui a joué un rôle éminent au sein du Mouvement national. Pour revenir à cette réunion, le couscous posé, évidemment, la première réaction a été de s'arrêter. On pose le crayon ou le bout de papier pour ceux qui en avaient un. Soudain, Benbrahim a sauté, s'est dressé face à nous et nous a dit, menaçant, de rester à nos place: «Personne ne se lève. Nous n'avons pas fini notre réunion. Quant on aura fini la discussion, on mangera. Et si, avant qu'on ait fini de manger, quelqu'un nous surprend ou quelque chose arrive et qu'on soit contraint de nous disperser sans prendre de décisions, on va se réunir de nouveau? Or le temps presse.» Eh bien on n'a pas touché à la nourriture. C'est extraordinaire quand je me remémore...à l'âge de 22-23 ans, avoir cet esprit de raison, de responsabilité, ce niveau de conscience et de caractère aussi! C'est qu'il a eu le courage de se lever et de s'élever contre nous tous, y compris le président de la réunion. C'est dire à nos jeunes d'aujourd'hui, qu'à leur âge, les anciens assumaient des responsabilités extraordinaires, de niveau national, pas seulement local ou régional. Des hommes d'Etat déjà. Des hommes de courage, des hommes de conviction, de sincérité et d'abnégation, qui avaient toutes les qualités. Cet engagement précoce pour la cause nationale est confirmée par Brahim Brahim, le frère de Allal. Il évoque alors son intrépidité et sa révolte contre le colonisateur et cite des anecdotes qui témoignent des risques qu'il prenait face à l'ennemi. «Mon frère est mort prématurément au maquis et il est pénible pour moi de constater aujourd'hui que son nom tombe dans l'oubli, aucune rue par exemple n'a été baptisée de son patronyme», se désole Brahim Benbrahim, de son nom de guerre Layachi Ben Ahmed. Pour rappel, son aîné Allal qui contrôlait la région de Sidi Daoud, Mohamed Zerouali et Abdelkader Hasbalaoui ont été les créateurs du PPA dans la région de Dellys. Après le soulèvement général préconisé en 1945 qui allait être mâté, d'ailleurs il y a eu contrôle et les responsables ont été découverts, c'est là que si Allal a décidé de prendre le maquis, et ils ont été arrêtés comme des prisonniers. Durant cette nuit de soulèvement, nous avons passé la nuit à préparer les cocktails Molotov, ma petite soeur Cherifa nous aidait en remplissant les cartouches de poudre, à l'aide d'un moule qui était déjà préparé par notre frère Allal. Cherifa était alors âgée de 13 ans. Le groupe meneur, dont Allal qui travaillait beaucoup avec Benai dit Sid Ouali, est découvert par l'armée française; pour ne pas être arrêtés, ils décident avec ses compagnons de se munir en armes et rejoignent les montagnes limitrophes. Trois mois après ce soulèvement, Allal affaibli par la maladie, tombera, un 4 novembre 1945, au champ d'honneur. Cette fibre patriotique animera d'ailleurs toute la famille Benbrahim, issue de la coquette ville de Dellys, et particulièrement Brahim et son frère Larbi. Très tôt, ils étaient convaincus de la nécessité d'en finir avec la présence française sur le sol algérien. En 1947 l'OS est créé. Brahim remplace son frère dans la région. Vint l'année 1955. Il contacte alors Ouamrane et Abane dont il suit les directives et gagne, en compagnie de son frère Larbi, le Maroc après avoir échappé in extremis aux autorités coloniales qui étaient venues les arrêter. «Au Maroc fraîchement indépendant, Larbi était adjoint de chef de camp d'entraînement, quant à moi je m'occupai des armes», précise Brahim Benbrahim qui poursuit: «Il fallait armer les djounoud qui sortaient des camps d'entraînement et qui devaient rejoindre l'Algérie via le Sahara. On ramassait les armes. Le roi du Maroc nous a énormément aidés dans cette difficile tâche. Après épuisement des armes au Royaume marocain nous sommes passés en Espagne sur ordre de Boussouf qui m'a alors chargé de différentes missions. Nous étions à ce titre trois à avoir été convoqués par Yousfi: Mengouchi Larbi, Abbès et moi. J'étais nommément désigné pour la périlleuse entreprise de transporter des armes de l'Espagne vers le Maroc» et d'ajouter: «J'ai donc commencé à étudier cette mission spéciale puis me suis immédiatement rendu à Madrid en voiture. Par mesure de prudence je n'ai chargé au début qu'une toute petite quantité d'armes. Les véhicules étaient davantage fouillés à l'entrée du territoire espagnol. Ils l'étaient moins à la sortie de ce dernier. Et c'est sur la base de cette observation que j'ai rédigé mon rapport en vue de commencer l'opération», indique Brahim Benbrahim rompu à la culture du secret et de l'action comme le préconisait tellement Boussouf. «Les armes étaient acheminées à bord de trois véhicules jusqu'à Oujda et de là elles étaient envoyées à l'intérieur du pays.» Pour l'anecdote, Brahim Benbrahim cite: «Un jour Abane me demandait comment on parvenait à transporter les armes jusqu'à Oudjda. Je lui ai alors répondu: c'est là une question à laquelle je ne peux répondre! Abane m'a alors salué.» Abane lui avait ensuite confié que sur 45 étudiants auxquels était dévolue la mission de rapatrier ces armes du Maroc, seuls cinq sont arrivés sur le sol algérien. Et Benbrahim de rétorquer que la fameuse ligne Morice était meurtrière et passer avec des armes n'a jamais été facile. Nous avons continué à travailler, mais Larbi Mengouchi a fini par être arrêté alors que j'ai pu échapper à la police après avoir changé de passeport. Brahim Benbrahim relève les nombreux problèmes rencontrés au Maroc, notamment les réticences de quelques Algériens sceptiques quant à l'issue de la guerre de libération. «On exigeait seulement un abonnement de cent dinars par mois des ressortissants algériens vivant au Maroc en guise de cotisation pour la révolution», souligne-t-il tout en signalant un guet-apens tendu à l'occasion d'une opération de collecte et auquel il a miraculeusement échappé. «Beaucoup sont toutefois revenus à de bons sentiments une fois qu'ils ont constaté de visu que les djounoud s'entraînaient dans les camps et rejoignaient les maquis en Algérie», indique-t-il expliquant ainsi que le FLN recourait à l'action psychologique afin de convaincre les plus récalcitrants. «J'ai énormément travaillé avec Boussouf qui avait des compétences spéciales. Il m'estimait beaucoup pour mes qualités et notamment mon dynamisme», rappelle Benbrahim.