La révolte des Rifains semble s'inscrire dans la durée dans une région en ébullition, marginalisée par le Makhzen Provoqué par l'assassinat, en octobre 2016, de Mouhcine Fikri, un marchand de poisson, mort broyé par un camion-benne alors qu'il tentait de récupérer sa marchandise confisquée par la police, le ras-le-bol des Rifains s'est vite propagé à d'autres villes marocaines pour s'inscrire dans la durée dans une région exclue des programmes de développement. Le mouvement du Hirak à Al-Hoceïma dans la région du Rif était sans conteste l'évènement qui a dominé l'actualité au Maroc le long de l'année 2017, une contestation citoyenne qui continue de gagner en intensité à l'intérieur du pays comme à l'étranger parmi la diaspora marocaine, pour enfin s'inviter dans les agendas des organisations internationales, à la faveur de l'élan de solidarité suscité par le mouvement revendicatif au Maroc et à l'étranger. Depuis la diffusion d'un mandat d'arrêt contre le leader du «hirak» (la «mouvance», nom donné au mouvement de contestation), Nacer Zefzafi, le 26 mai dernier, la situation s'était tendue. Son interpellation le premier jour du ramadhan, a déclenché un mouvement de grève marquée par une grogne générale. Tous les soirs à la rupture du jeûne, des centaines de personnes se rassemblaient dans le centre d'Al-Hoceïma afin de réclamer sa libération. En une semaine, il y a eu plus d'une quarantaine d'arrestations visant le noyau de ce mouvement, soutenu par les Marocains et les organisations de juristes et de droits de l'homme à l'étranger. Quelques jours plus tard, leur garde-à-vue de quarante-huit heures a été prolongée. 25 d'entre eux ont été déférés devant le parquet. Mais la révolte monte en puissance à mesure que les autorités continuaient à arrêter les leaders et de sévir brutalement contre les manifestants. Accusés à tort d'«être à la solde des services étrangers», les contestataires sont souvent dépeints comme «séparatistes» et quelquefois comme «terroristes».Pour tenter de contourner la colère des citoyens dans la région, plusieurs milliers de policiers ont été mobilisés à Al-Hoceïma sans parvenir à empêcher les manifestations quotidiennes, des mois durant. Des affrontements émaillées de violences se sont également multipliés, comme l'ont rapporté des médias, images et vidéos à lappui. Malgré la répression, d'autres manifestations ont eu lieu dans la ville d'Imzouren et Beni Bouyaach, la grogne des Rifains ne faiblit pas et voit même des soutiens naitre dans tout le Maroc. Des rassemblements de solidarité ont également eu lieu dans d'autres villes du Nord, comme Tanger et Nador, ainsi qu'à Casablanca et Rabat. A Rabat, la capitale marocaine, une marche annoncée pour le 20 juillet comme la «marche du million», avait été lancée par Nasser Zefzafi, avant son arrestation. Des milliers citoyens ont bravé l'interdiction de manifester. Pour certains observateurs, le mouvement de protestation dépassait en ampleur la mobilisation qu'avait connue le Maroc en 2011 lors de ce qu'on appelle «printemps arabe». Pour d'autres, il s'agissait de la plus grande contestation depuis l'arrivée du roi Mohamed VI au pouvoir en 1999. Des procès iniques et des suspicions de tortures Durant toute la période du mouvement revendicatif, la répression n'a pas épargné les médias, le journal El Badil a été suspendu et son responsable poursuivi en justice pour avoir «incité» (des individus) à sortir manifester, alors que des représentants d'organisations internationales et de juristes ont été carrément interdits d'accès dans la région du Rif. Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé des exactions contre des journalistes étrangers et a fait état de deux arrestations, trois disparitions et d'autres cas d'expulsions, accusant le régime de Rabat de faire peu à peu de cette région «une zone de non-droit à l'information indépendante». Depuis le début du «Hirak», RSF a recensé de «nombreuses atteinte à la liberté d'informer». La connexion Internet a été également ralentie, parfois interrompue, et le réseau téléphonique perturbé dans toute la ville, ce qui a «compliqué le travail des journalistes sur place». Le 18 décembre, des peines allant jusqu'à quatre ans de prison ferme à l'encontre de 18 manifestants du mouvement du Hirak ont été prononcées par la Cour d'appel d'Al-Hoceïma. Jusqu'à 13 personnes ont été condamnées à une peine allant de 2 à 4 ans de prison ferme, selon des médias locaux, alors que 5 autres écopent d'une peine allant de 8 à 20 mois. Ils étaient tous poursuivis pour «rassemblement armé, humiliation d'agents de la sûreté, rébellion, et manifestation sans autorisation». Au moins 400 personnes seraient emprisonnées en relation avec le mouvement de protestation, la plupart d'entre elles détenues à la prison d'Ouchaka, à Casablanca. Certains ont débuté une grève de la faim. De plus, toujours selon des médias locaux, un groupe de 19 personnes, dont 11 mineurs, ont été malmenés et placés en détention pour un moment suite à une manifestation organisée récemment à Imzouren. Quant au leader du mouvement Zefzafi, est passé le 24 octobre devant les juges de la chambre criminelle de la Cour d'appel de Casablanca, première apparition publique pour ce militant depuis son arrestation. La liste des charges retenues contre Zefzafi comprend, entre autres:atteinte à la sécurité de l'Etat, tentative d'homicide volontaire et trouble à l'ordre public. Avec ces lourdes accusations il risque des dizaines d'années de prison, un verdict pouvant aller jusqu'à la perpétuité. Les critiques d'ONG locales et internationales se sont depuis lors multipliées pour dénoncer la «répression» et «les arrestations arbitraires», tout en appelant à la libération des manifestants arrêtés. Cette «dérive sécuritaire» des autorités marocaines a été critiquée également par une partie de la classe politique, de la société civile ou dans les médias locaux. Elle «conduit tout le pays à une catastrophe. Nous allons payer un prix très, très cher pour tout ça», a ainsi dénoncé le politologue et journaliste Abdellah Tourabi. Et le débat fait toujours rage sur les suspicions de tortures et de mauvais traitements qu'auraient subis certains détenus, selon leurs proches. Et là encore, le malaise est toujours d'actualité pour le gouvernement marocain. Ainsi, les chefs des partis de la majorité ont appelé l'exécutif à davantage d'«interaction positive avec les revendications des habitants». Après avoir durement réprimé les populations rifaines, le gouvernement s'était engagé à quelques promesses démocratiques et sociales. Le Premier ministre, Saad-Eddine Al-Othmani, avait assuré que la région était «au coeur des préoccupations du gouvernement». Toutefois, seule la libération des détenus pourrait marquer le début d'un vrai dialogue entre manifestants et politiques, estiment les observateurs. Il s'agit là, de l'une parmi les principales revendications du Hirak et une recommandation de l'initiative d'Al-Hoceima, coordonnée par l'ancien président de l'Organisation marocaine des droits de l'homme (OMDH), Mohamed Nesh-Nash. Au-delà des frontières marocaines, le mouvement Hirak a connu un soutien accru parmi la communauté marocaine établie à l'étranger. Des manifestations ont été notamment organisées par la diaspora rifaine en France et en Belgique, alors que d'autres manifestants s'étaient donnés rendez-vous à Madrid. Parallèlement à cela, Zefzafi le père, se trouve actuellement en pleine tournée en Europe pour faire connaître le dossier des détenus du Hirak dont fait partie son fils. Ahmed Zefzafi s'est rendu en France, en Belgique et en Suisse, où il a été reçu par l'organisation des droits de l'homme suisse. Soutien de la diaspora aux détenus du Hirak Le gouvernement qui croyait pouvoir laminer le mouvement, n'en a pas fini avec la force de la mobilisation citoyenne. A la demande de l'eurodéputée, Kati Piri, le mouvement s'invite à l'agenda du Parlement européen. En effet, ce n'est pas seulement la mort de Mouhcine Fikri qui enrage les Marocains du Nord. Ce drame n'a en vérité été que «la goutte qui a fait déborder le vase», ont soutenu des militants et des défenseurs de droits de l'homme, rappelant que cette région du Maroc a une histoire de lutte, depuis la révolte d'Abdelkrim El Khattabi, héros de la guerre du Rif. Entre 1921 et 1927, les Rifains s'étaient soulevés contre les colons espagnols et français et la monarchie marocaine. Ils avaient proclamé la République du Rif. Les armées coloniales avaient utilisé des gaz afin d'exterminer cette résistance du Rif. Les figures du Hirak cultivent aussi la mémoire des soulèvements de 1958 et 1984, brutalement réprimés. La première révolte a eut lieu après l'indépendance du Maroc. Les Rifains s'inquiétaient de la marginalisation de leur région et ont osé manifester et s'organiser. Le bilan est de 2000 à 8000 morts. La deuxième révolte était étudiante et la répression fut terrible, ce qui mit le feu aux poudres. Le 22 janvier 1984, dans un discours télévisé, Hassan II avait traité les habitants du Rif de «awbach», c'est-à-dire de déchets de la société. Le nombre de morts n'est pas connu, mais on a fait état de l'existence de fosses communes, ce qui voudrait dire qu'au moins une centaine de personnes ont été tuées, avaient dénoncé des les défenseurs des droits de l'homme.