Contrairement à certains pays occidentaux, la confusion, soigneusement entretenue entre l'islam et le terrorisme, ne fait pas la règle au pays du Soleil-Levant. Les Japonais s'intéressent de plus en plus à cette religion après les attentats du 11 septembre. «Il est très difficile pour nous au Japon de faire la distinction entre l'islam et les attentats terroristes commis par des groupes extrémistes au nom du djihad. N'est-ce pas au nom de cette religion qu'on fait exploser des bombes et des voitures piégées en Irak? N'est-pas des groupes islamistes qui prennent en otage des ressortissants étrangers en Irak?», précise Mme Hini Kojyo, une universitaire. Cette réflexion en dit long sur le degré d'amalgame présent dans les esprits des Japonais autour de l'islam. Une religion sur laquelle on ignore tout ou presque. Le Coran demeure pour les Japonais un mystère à élucider. Beaucoup de questions sont posées autour de ce livre sacré. Et l'équation est très difficile à résoudre. Si l'islam prône l'extrémisme, pourquoi tous les musulmans ne sont-ils pas des terroristes? Et puis, qu'est-ce qui justifie toute cette haine envers l'Occident? La logique japonaise prime dès lors que le débat est lancé. Mais force est de constater que cette polémique est loin d'intéresser les Japonais. Saki Ouchi, responsable du département international au sein du quotidien japonais The Yomiuri Shimbun, dont le tirage atteint 13 millions d'exemplaires par jour, affirme que l'amalgame entre l'islam et le terrorisme constitue un sujet extrêmement sensible qui a fait l'objet de plusieurs réunions au sein de la rédaction. Elle nous cite, sur sa lancée, l'exemple des attentats de Londres (7 juillet 2005). «Nous avons été très vigilants durant ces événements afin d'éviter le piège.» Et le piège serait de faire référence à l'slam dans le traitement de l'information. Elle continue: «Nous avons évité les expressions qui peuvent orienter le lecteur vers une piste particulière.» Mais cette neutralité est loin de traduire, à en croire les propos mêmes de la journaliste, une parfaite connaissance de l'islam. «Je ne peux pas dire pour autant que les Japonais connaissent l'islam. Mais contrairement à la société américaine, le Japon n'est pas un pays très religieux.» L'autre détail important, «notre pays n'a pas été la cible d' actes terrorises ce qui lui permet d'avoir un regard objectif sur l'actualité». Force est de constater que, contrairement à certains pays de l'Occident, la confusion, soigneusement entretenue entre l'Islam et le terrorisme, ne fait pas la règle au pays du Soleil-Levant. Une partie des Japonais a adopté un comportement tout à fait contraire à celui des pays occidentaux après les attentats du 11 septembre. Le discours religieux prôné par les groupes armés et le mouvement d'El Qaîda a amené, les intellectuels surtout, à s'intéresser davantage à l'islam. La communauté musulmane vit en paix Ensari Yenturk, imam de la mosquée de Tokyo, construite en 2000 par le gouvernement turc, précise que «beaucoup d'études ont été faites sur l'islam dans l'objectif d'essayer de comprendre les préceptes d'une religion brusquement mise sous les feux de la rampe à la faveur des événements». Il ajoute que «depuis le 11 septembre 2001 nous enregistrons un intérêt particulier pour cette religion. Tous les chercheurs finissent par admettre que le rapprochement entre l'islam et le terrorisme est infondé». Le rôle joué par la communauté musulmane vivant au japon (200.000 personnes) est plus que déterminant. Le choix des institutions religieuses musulmanes de rester neutre vis-à-vis des débats politiques lui a évité les critiques de tout bord. «Les prêches du vendredi sont consacrés à mettre en exergue les principes de l'islam, à présenter le vrai visage de cette religion» et d'ajouter que «la politique n'a pas de place ici. D'ailleurs nous ne pouvons pas le faire parce que la mosquée appartient au gouvernement turc, lequel pays interdit formellement le traitement de questions politiques dans les lieux de prière». Pas de politique donc dans les mosquées. Une règle respectée aussi à Kobé, la ville qui abrite la plus vieille mosquée du Japon construite en 1935. M.Mohsen Chaker Bayoumi, imam de la mosquée, insiste sur le fait que «les musulmans vivent en paix ici. Les événements du 11 septembre n'ont pas soulevé des actes racistes contre cette communauté contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays». C'est ce que nous avons pu confirmer avec des ressortissants musulmans rencontrés à Kobé. C'est le cas de Amine, 35 ans, de nationalité égyptienne. Il estime que «le débat n'a pas lieu d'être posé ici. Nous menons une vie tranquille aux côtés des Japonais, peu importe notre religion». Pour Samir Fadi, informaticien dans une grande boîte à Tokyo, «les Japonais sont plus préoccupés des capacités intellectuelles de l'individu que de son appartenance religieuse». La majorité des Japonais se désintéresse de la polémique autour de l'islam et du terrorisme. Question de priorité peut-être, mais quand le débat est lancé, tout le monde s'accorde à croire que les musulmans sont les premiers responsables de cette situation. «On tue, on égorge au nom de l'islam et quand on ignore tout de cette religion, l'on devient la proie facile de tous ses discours religieux»,précise M.Akiniwa. Pour ce dernier, «il faut une grande mobilisation des pays musulmans pour corriger l'image de l'islam dans l'Occident». Le SOS du Centre islamique à Tokyo Ils sont près de 100.000 Japonais ayant embrassé l'islam. Mais ce nombre est appelé à être revu à la hausse: «Il est très difficile d'avoir un chiffre exact, puisque les musulmans japonais, dans leur majorité, se font discrets pour éviter les critiques et les problèmes qui peuvent surgir avec leur environnement le plus proche.» Le Centre islamique à Tokyo constitue le point de rencontre pour nombre d'entre eux. En l'absence de M.Salih Samarrai, directeur du centre, avec qui nous avions rendez-vous, nous nous sommes entretenus avec M.Abdul Rab Shadji. A notre grande surprise, le centre bâti sur quatre étages était désert. Un silence de mort y régnait. Les bureaux étaient vides, les micro-ordinateur éteints. Ce n'était pas un jour férié ni pour les musulmans ni pour les Japonais. Les responsables du Centre se sont familiarisés avec ce décor depuis quatre ans, précisément après les attentats du 11 septembre. Et pour cause, «suite aux pressions américaines, affirme notre interlocuteur, les principaux donateurs, notamment les pays du Golfe, ont bloqué les aides». L'institution est pratiquement à l'arrêt. Les responsables de ce centre s'échinent à trouver des sources de financement, en vain. «Avant, nous éditions quarante publications. Le centre assurait aussi des cours d'arabe, d'informatique à la communauté musulmane, mais aujourd'hui la situation est complètement différente au point que nous soyons obligés de nous séparer des quatre secrétaires qui assuraient la coordination dans le centre.» Parmi les rares missions que le centre s'accroche encore à assurer: la perception du croissant lunaire, mais aussi l'octroi pour les Japonais du certificat qui prouve leur conversion à l'islam. Mais pourquoi ce document? C'est une procédure qui permettra à ces derniers d'aller à la Mecque. Il faut savoir que l'Arabie Saoudite exige ce document pour permettre aux ressortissants japonais de faire ce voyage. Selon M.Abdul Rab Shadji, ils sont près de 200 musulmans japonais à avoir fait le pèlerinage dans les Lieux-Saints durant ces cinq dernières années, bénéficiant des aides financières de l'Arabie Saoudite. Le Centre islamique de Tokyo, qui constitue la première institution de la daâwa au Japon, est sollicité par les chercheurs ou les simples curieux. «Nous recevons des dizaines d'appels par jour de musulmans et de non-musulmans et nous avons des antennes partout dans le pays.» Il ajoute qu'en général, «les Japonais ont une bonne vision de l'islam». C'est le cas aussi du gouvernement avec «qui nous entretenons de très bonnes relations». Des relations qui se sont consolidées suite à la prise d'otages de ressortissants japonais en Irak. Le gouvernement de Koisumé avait, pour rappel, sollicité l'aide du Centre pour participer à la libération des otages, chose qui a été réalisée. Mais les effets de ce geste de bonne volonté n'ont été qu'éphémères. Le centre peine toujours à trouver un financement pour le projet d'école islamique, qui nécessite 2,5 millions de dollars. La Banque islamique pour le développement et la construction a versé un don de 7000 dollars. Les responsables sont à la conquête de 1,8 million. Et sur ce point, tous les regards se dirigent vers la Turquie. Le directeur du centre a effectué une visite à Ankara pour essayer d'arracher un accord, mais rien n'est encore conclu. La construction d'une telle école s'impose, selon notre interlocuteur, car «l'éducation des enfants est l'un des grands problèmes que rencontrent les musulmans au Japon. Il faut savoir qu'il y a près de 80.000 enfants qui ont besoin de recevoir une éducation islamique».