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Le devoir de témoigner
HOMMAG: ECHRONIQUE DES ANNEES DE GLOIRE DE MOHAMED SAIKI
Publié dans L'Expression le 06 - 02 - 2019

Actuellement en soins en ophtalmologie, je repub lie, en guise d'hommage à un exceptionnel ami d'enfance pour ce qu'il a donné à son pays: contribuer à l'écriture de l'histoire relève du fort et honnête sentiment de l'homme qui a vécu un événement et qui se donne le pouvoir de le dire conformément à ses actions.
Il est décédé le mercredi 21 janvier 2015. Je le revois vivant encore. Dans son livre Chronique des années de gloire (*), Mohamed Saïki, capitaine de l'ALN (surtout en Zone 4, Wilaya IV), dit, après quarante-deux ans, ce qu'il a vécu dans les maquis pendant la guerre de Libération nationale en y pensant, non sans y penser. Cette publication, qui comprend de nombreuses photos et cartes et en annexes divers documents, est la version française adaptée par Ali Goudjil, ancien recteur d'université, de l'ouvrage original en arabe intitulé «Chahâdat thâir min qalb el-Djazâir, Témoignage d'un révolutionnaire du cru de l'Algérie» (avec en ouverture, une lettre de félicitations du président Abdelaziz Bouteflika).
À la recherche de la vérité historique
Durant mai 1956-juillet 1962, Mohamed Saïki a observé, a agi, a noté, a analysé ce qu'il a fait, lui seul ou avec ses compagnons d'armes, ce qu'il n'a pas fait ou n'a pu faire pour la libération de son pays face à l'armée coloniale française.
Dans son livre, il se veut, fidèle à son engagement, tel qu'il est, homme de conscience, de piété et de pardon, un moudjahid entier de la cause nationale. Au reste, c'est ce qui l'autorise à expliquer aussi que son grade «de capitaine qui pourrait sembler modeste à tous ceux qui ont une notion traditionnelle des grades d'une armée classique» était plutôt éminemment glorifiant dans la hiérarchie de l'ALN, car «le capitaine était l'équivalent d'un général de division dans l'armée coloniale, avec bien moins de moyens matériels et humains, ce qui exigeait donc du capitaine une capacité militaire, une compétence opérationnelle et un sens tactique élevé».Evidemment, l'auteur n'est pas historien et n'ambitionne pas de faire de l'Histoire avec H majuscule de son sacrifice et de celui de ses compagnons de lutte, qu'ils aient été, ceux-ci dans la Wilaya IV ou dans les cinq autres Wilayâte.
Il écrit: «J'ai, pour ma part, eu l'honneur d'être l'un de ceux qui en ont vécu les péripéties, par la force des choses, ont eu des informations de première main sur des faits ou des événements qui ont eu des conséquences sur le cours de la Révolution dans cette partie du territoire national.
J'estime qu'il est naturellement de mon devoir de témoigner, en mon âme et conscience, car il s'agit d'une responsabilité historique qui incombe à tous les moudjâhidîne de ma génération. J'ai vécu avec cette idée pendant quarante ans: écrire ces pages avec l'espoir qu'elles jetteront, un tant soit peu, un éclairage sur l'enchaînement des faits et qu'elles serviront à établir - ou à rétablir - certaines vérités, aidant ainsi le lecteur à mieux cerner cette période cruciale de l'histoire de notre pays. Je me suis efforcé, dans cette modeste contribution, de rappeler autant les faits connus que ceux qui, selon moi, ont été occultés sciemment ou de manière involontaire, avec l'espoir d'apporter des informations nouvelles aux chercheurs, érudits passionnés d'histoire, ou simplement aux profanes.»
L'intention est donc claire et précise d'autant que ce grand moudjahid né en 1932 au lieu-dit «H'djar Djebel Dirah» à quelques kilomètres de Soûr El Ghouzlâne ne cesse d'appeler à la recherche de la vérité historique de la Geste révolutionnaire algérienne et à puiser dans les sources non altérées par une histoire tantôt magnifiée, tantôt diffamée, tantôt falsifiée de la Révolution. De même, il recommande de se méfier des déclarations que le temps incertain, les témoignages complices et répétés programment régulièrement pour dénigrer les acteurs de la Révolution, ainsi que des motivations inavouées qui poussent au soupçon et à la mise à l'index de nos héros de la lutte de Libération nationale.
Ce que le système colonial impose aux indigènes
Alors, aussitôt assurés son recrutement et celui de ses cinq camarades de la «cellule dirigée par Ali Saddadou» (formée à Soûr El Ghouzlâne dans le café de Messaour Abdelkader), le jeune homme Mohamed Saïki s'abandonne à sa joie: «Nous étions six finalement parvenus, après des mois de recherche fébrile, de peur et de déceptions, à rencontrer, là, devant nous, en chair et en os, de véritables djounoûd de l'ALN.» Ayant été affecté à la compagnie commandée par Si Belgacem dans la région du Djebel Boutaleb, l'auteur ne fait pas de longs développements sur Soûr el Ghouzlâne et sa région qui ont également donné, dit-il, de nombreux chouhadâ dont, par exemple, Mokhtar Mazani, Messaoud Zitoun, Mohamed Zeguiche, Abdelkader Messaour, Ali Saddadou, Ahmed Sellam, Kouider Boudjarda,... et de nombreux moudjâhidîne dont certains cités de mémoire se trouvent à la page 419 du livre.
Par contre, à la suite d'une juste préface riche en informations historiques et politiques, il rappelle les exactions de l'armée coloniale, subies par la population de Soûr El Ghouzlâne, l'antique Auzia (16 siècles av. J.-C).
Puis il nous livre des récits d'une précision extrême sur sa famille, son adolescence, sa scolarisation et son refus de l'école indigène au sceau colonial indélébile.
Il raconte son mal-être et celui de la société algérienne de l'époque. Il dénonce ce que le système colonial impose aux populations indigènes: la soumission, la pauvreté, le chômage, l'oisiveté absolue, le poids de l'injustice, les droits du colon au détriment de la liberté du peuple algérien.
Mais peu à peu les activités d'éveil au nationalisme (le scoutisme, le football, l'amitié, la fraternité entre jeunes gens, la poussée des mouvements politiques musulmans plus encore déterminés par l'horreur des massacres, en mai 1945, de 45.000 civils algériens par la police et l'armée de la France coloniale,...) fortifient l'enthousiasme patriotique et caractérisent le sens du devoir national du jeune homme... Enfin, l'Appel du 1er Novembre 1954 retentit dans les consciences, trouvant en elles un patriotisme éclatant, à la fois, d'un amour éclairé par la connaissance du pays et de ce qu'on lui doit et d'un amour généreux dû au peuple souffrant et courageux! En somme, des motivations nobles cumulées décident un groupe de copains, comme partout en Algérie, à aller à la recherche de la Révolution salvatrice...
(*) Chronique des années de gloire de Mohamed Saïki
Editions Dar El Gharb, Oran, 2004, 500 pages


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