La littérature étant une production humaine devient donc un acte politique. Le colloque sur l'écrivain Max Aub, annoncé en fanfare à Djelfa en 2004, risque de ne pas avoir lieu, dit-on, à cause de ses écrits engagés intéressant surtout l'Espagne qui en occupe une place de choix au contraire de Djelfa. Une façon comme une autre de renvoyer ce séminaire aux calendes grecques. Il est vrai que le concept de littérature est incohérent car riche en acceptions, ce qui appuie un certain syllogisme que tout acte humain est politique, la littérature étant une production humaine, devient donc un acte politique. Mais pour rassurer contre cette idée préconçue sur Max Aub, on dira, d'une part, que le lecteur est par essence historique, il s'intéressera d'abord à l'aspect anthologique de l'oeuvre littéraire en réduisant simplement sa lecture à une praxis sociale. Libre à lui ensuite d'établir le rapport entre l'élément historico-littéraire et l'élément politique. Et quand bien même une production littéraire est empreinte de politique, l'oeuvre, dans sa globalité, ne saurait être galvaudée. Tout comme l'engagement politique ne pourrait singulièrement expliquer une réalité sociale si celle-ci ne subit pas le regard profond de l'intellectuel pardelà la littérature seule à même d'en traduire le sens complexe et multiple. D'autre part, l'objectif étant de faire connaître l'écrivain et quelques-unes de ses oeuvres aujourd'hui en rapport avec un sujet qui fait les unes des tabloïds, celui de la colonisation française. Une période glorifiée par 184 députés français et à l'inverse, que Max Aub démystifie à travers un vécu partagé en dénonçant les pires exactions commises par le colonisateur au début des années quarante sur les Espagnols venus se réfugier en France après la victoire des troupes franquistes. Aussi, est-il dommageable que ce colloque, à petit budget, n'ait pas attiré l'attention du noyau d'intellectuels supposés les mécènes les mieux indiqués pour aider à son montage. Et dire que leur mutisme encourage régulièrement des manifestations de pacotille ! Que reste-t-il alors comme moyen pour pallier cette carence intellectuelle sinon de faire le portrait de Max Aub, même sommairement. Bien que son nom renvoie à un pan de l'histoire de l'Algérie sous le joug colonial, cet écrivain d'expression espagnole est entièrement méconnu dans la région de Djelfa et probablement même dans le milieu universitaire. Sans doute que cela tient à l'influence exercée par le champ francophonique ensuite, l'époque des années quarante à Djelfa évoque plutôt Roger Garaudy, pourtant son compagnon d'infortune! Mais dans l'histoire de Max Aub et ses compatriotes, le comble du ridicule français est qu'ils étaient tous des républicains ! Arrêtés, ils ont été internés au camp du Vernet puis transférés à Djelfa au lieudit Aïn S'rar le 25 décembre 1941 dans une prison sous régime concentrationnaire digne d'un camp nazi ! Aux côtés des autochtones, il vécut les affres de l'enfermement et survécut aux sévices les plus innommables dans des conditions de réclusion extrêmement dures. Fils d'un Allemand et d'une Française établis en Espagne en 1914, Max Aub (1903-1972) est un écrivain au style exubérant et surréaliste, en témoigne son oeuvre sur la guerre civile dans son pays d'adoption, qu'il décrit entre réalité et fiction dans sa trilogie El laberinto màgico: le champ clos en 1940, Le champ ouvert en 1941 et Le champ sanglant en 1942. Plus tard, il plaidera davantage et admirablement la cause algérienne en transcendant le niveau du témoignage anecdotique dans un récit qu'il intitula El cementerio de Djelfa, dans lequel il loue les vertus des Algériens «gueux» de venir au secours de leur prochain alors qu'eux-mêmes vivent d'horribles humiliations dans le dénuement total! Lors de son internement, il compilera quarante-huit poèmes dans un journal au titre évocateur Diario de Djelfa, où se côtoient la douleur, le sentiment de soulèvement contre l'autorité coloniale et l'irritation face à l'injustice et l'arbitraire, en somme des poèmes de la honte. Ces deux chefs-d'oeuvre ont été réalisés par l'auteur, loin des regards indiscrets d'un officier sanguinaire, le commandant Caboche. Max Aub fut l'ami de Raphaël Alberti, Antonio Machado, Ernest Hemingway, André Malraux et Pablo Picasso, tous des défenseurs de la cause républicaine espagnole. Au sortir de prison, en juillet 1942, il s'exila au Mexique où il parachèvera son oeuvre, afin que l'opinion internationale pût voir le visage hideux d'une France sophiste à propos des idéaux républicains! Après l'Algérie et les Dom Tom, voici un témoignage du fin fond de l'histoire qui renforce la thèse de l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 et qui conforte une vérité déjà établie que «notre mère patrie» ne fut aucunement une samaritaine!