Les Palestiniens ont exprimé démocratiquement le fond de leurs préoccupations. Le raz-de-marée des législatives de jeudi dernier n'est que le remake des élections locales qui se sont déroulées il y a un mois à peine, parce que les éches subis par la population palestinienne imposaient des changements. En provoquant un tsunami dont l'épicentre se situe à Jérusalem, les Palestiniens ont voulu démontrer au monde que le processus de paix engagé, depuis voilà une décennie, n'est qu'un leurre. Les Américains avaient menacé de bloquer leur aide à l'Autorité palestinienne en cas de participation du Hamas aux législatives, rappelle-t-on. Mais la volonté palestinienne s'est exprimée par le biais des urnes, comme devra s'exprimer celle des Israéliens dans un avenir proche. Quelles sont les raisons du double exploit du Hamas, considéré «terroriste» par l'administration américaine, et qui a provoqué un véritable cataclysme dans le Moyen-Orient et dans le monde arabe d'une manière générale? Les vraies raisons se situeraient d'abord au sein même de la société palestinienne qui est l'une des sociétés les plus évoluées dans la région, vu le taux d'alphabétisation. La victoire a surpris en premier lieu, les dirigeants palestiniens du Fatah eux-mêmes. Ils espéraient conserver la direction en dépit du mécontentement de l´opinion publique «exaspérée par les luttes de clans, la corruption, la gestion déficiente et, par-dessus tout, leur impuissance à arracher à Israël les concessions minimales pour parvenir à un Etat indépendant», indiquent les agences de presse. Hamas, né lors de la première Intifadha en 1987, avait choisi la voie dure; c'est-à-dire la résistance radicale, y compris par les armes. En réalité, il a donné une forme à la réaction - par son contenu politico-militaire - à la politique de durcissement israélienne. Cheikh Yassine, son fondateur, est resté intransigeant dans ses discours; discours qui l'ont amené à vivre dans les geôles israéliennes puis son assassinat par une roquette. Il est devenu dès lors, le grand martyr de la cause palestinienne. Son successeur Rantissi a été également assassiné de la même façon. Ce qui n'a fait que renforcer l'approche de résistance radicale. L'arrivée au pouvoir de Netanyahu puis de Sharon, et la manière dont Arafat a été cloisonné dans un ghetto, n'ont fait que renforcer l'option dure des masses populaires palestiniennes dans leur refus aux méthodes molles de l'Autorité palestinienne face aux intransigeances du camp adverse. La deuxième Intifadha a fini par rendre les palliatifs de l'Autorité palestinienne insuffisants. Les autres raisons se situent dans la situation qui prévaut dans la région. Depuis les attentats du 11 septembre, la région est devenue la cible des Américains. L'invasion de l'Afghanistan puis de l'Irak et le projet du Grand Moyen-Orient que compte imposer Bush, ont achevé les rêves des nouvelles générations. Les menaces proférées contre la Syrie et l'Iran ont confirmé l'approche hégémonique américaine dans le Moyen-Orient. Les changements à la tête de beaucoup d'Etats (Jordanie, Syrie, Arabie Séoudite, Palestine et récemment le Koweit) et la disparition de Arafat, et celle proche de Sharon, ont mis la région dans une sorte de mutation profonde, annonciatrice d'une ère nouvelle. Mais sa matrice demeure la cause palestinienne ou, plus prosaïquement, le devenir de la paix entre les deux Etats. Menahem Klein, professeur d'histoire à l'université de Bar Ilan à Tel Aviv, reconnaît que «le gouvernement israélien n´était pas intéressé à une solution négociée avec le Fatah de Mahmoud Abbas. Il ne l´est pas plus avec le Hamas. Olmert va continuer de dire qu´il n´y a pas de partenaire pour un dialogue». Il considère que «Israël n´avait rien à proposer au Fatah. Il n´a rien à proposer au Hamas. Le conflit ne change donc pas fondamentalement de nature. C´est maintenant au Hamas de prouver à l´opinion palestinienne qu´il est capable de faire ce qu´il n´a encore jamais fait: gouverner». L'approche du Hamas n'est pas très différente. Le Fateh, qui a été sanctionné par les urnes, devra revoir sa stratégie parce que la tâche qu'impose Bush au président Abou Mazen et la cohabitation avec Hamas seront une gymnastique difficile.