Commençons par le premier : Ahmed Ben Bella. Ce n'est pas spécialement un modèle qu'on proposerait aux jeunes Algériens. Selon les témoignages et les récits de ses proches, c'était un homme impulsif, un dirigeant versatile et colérique. Mais aussi manipulateur si l'on en croit Chadli qui raconte dans ses Mémoires qu'en dépit de son insistance et de celle du tribunal qui a jugé le colonel Chaâbani pour que le président lui accorde la grâce, ce dernier ne voulait rien entendre. Il voulait sa mort. Rien d'autre. Quelques jours plus tard, il entendra, stupéfait, Ben Bella déclarer dans un discours «Qu'ils ont tué le pauvre colonel Chaâbani». Certains diront : « Mais c'est ça la politique ! Manipuler, mentir, tricher, diviser…» Boumediene était, qu'on le veuille ou non, d'une autre eau. Tous les témoignages concordent dans ce sens. Aussi bien celui de Taleb Ibrahimi qui ne lui trouve qu'une seule faiblesse : celle d'avoir trop protégé Bouteflika que Saïd Mazouzi qui raconte une anecdote poignante. Celle-ci : alors qu'il était sur son lit de mort, il se tourna vers le ministre de l'Agriculture de l'époque, Tayebi Larbi, pour lui demander quel était le prix du kilogramme de pomme de terre. Celui-ci lui répondit : 2 DA. Le visage de Boumediene s'assombrit : «Mais on s'était entendu de ne jamais dépasser 1 DA. Comment les pauvres peuvent acheter à ce prix la pomme de terre ?» Quant à Chadli Bendjedid, lui-même raconte une anecdote qui illustre sa magnanimité. Même s'il savait qu'il était moqué dans son dos par Bouteflika, il le nomma à ses côtés comme ministre-conseiller. Mais ne voilà-t-il pas que ce dernier en mission au Yémen fut interrogé par le président du pays sur Bendjedid qui venait d'être nommé. Réponse de Bouteflika : «Comme son nom l'indique, il est toujours nouveau !». Le président yéménite fut, semble-t-il, choqué par ce manque de respect du conseiller à son président. Informé, Bendjedid limogea Bouteflika. Il aurait pu le sanctionner plus sévèrement. Pour l'anecdote, même devenu président, Bouteflika poursuivra Chadli de son mépris. Quand Bouteflika fut président, il eut une foule de défauts qui nous ont conduit à cette situation, mais une qualité propre à Mandela et Boumediene aussi : il n'agissait jamais sous le coup de la colère. Il prenait tout son temps, laissant souvent ses obligés ou ses ministres sur des charbons ardents. Mais que faisait-il d'utile de ce temps long, c'est une autre question… Sans doute de la tactique et des petits calculs au lieu de s'élever vers la stratégie et la vision. Enfin, si Mandela est sorti par la grande porte en ne restant au pouvoir qu'un mandat, tous les présidents algériens se sont accrochés au poste. Jusqu'à ce qu'ils soient arrachés par la mort ou par leurs compagnons.