De nombreuses ONG craignent une paralysie de l'acheminement de l'aide au Yémen et un basculement du pays dans la famine après des informations selon lesquelles les Etats-Unis envisagent d'inscrire les rebelles Houthis sur leur liste des «organisations terroristes». Le sort des Houthis, soutenus par l'Iran, se trouve au coeur d'une querelle diplomatique au sein même de l'administration du président américain sortant Donald Trump, qui cherche par tous les moyens à isoler son ennemi Téhéran. Plusieurs hauts responsables ont confirmé des informations de presse selon lesquelles Washington se préparait à ajouter à sa liste le groupe rebelle, qui contrôle la capitale Sanaa et la majorité du nord du Yémen après plus de cinq ans de guerre qui ont provoqué la pire crise humanitaire au monde. «Le problème est que s'ils sont définis comme une organisation terroriste, cela aura de nombreuses conséquences», affirme un diplomate occidental dans le Golfe. «Plusieurs pays auront des problèmes en ayant des relations avec eux et cela compliquera tout le processus de ‘'paix'' et le travail de l'ONU», explique-t-il. Pour les Houthis, déjà visés par des sanctions américaines, la mesure pourrait avoir un impact limité mais la population yéménite souffrirait de la baisse des aides humanitaires, déjà affectées par la pandémie de coronavirus. Interagir avec des responsables Houthis, gérer des impôts, utiliser le système bancaire, rémunérer du personnel médical, acheter nourriture et pétrole mais aussi accéder à internet pourraient être entravés par une telle la mesure. Jan Egeland, du Norwegian Refugee Council, indique avoir, avec d'autres ONG, «exprimé une profonde inquiétude face à la perspective de nouveaux obstacles quasiment insurmontables pour fournir une assistance pouvant sauver des vies au Yémen». Si les Etats-Unis prennent cette décision, ils doivent décréter «des exemptions claires» autorisant les travailleurs humanitaires à agir sans peur de répercussions légales, ajoute-t-il dans un communiqué. Les Houthis affirment que M. Trump n'a pas le droit de prendre cette décision après sa défaite à l'élection présidentielle du 3 novembre. «Les élections américaines sont finies et quelqu'un d'autre a gagné mais il insiste sur le fait que c'est lui qui a gagné. Les déclarations de cet homme n'ont plus aucune signification», a déclaré Sultan Al-Samee, vice-président du Conseil politique d'Ansar Allah (appellation officielle des rebelles Houthis). «S'il désigne Ansar Allah comme une organisation terroriste, cela viendra d'une personne non compétente qui est en train de devenir complètement dingue», a-t-il ajouté. Si elle devait se concrétiser, l'initiative américaine devrait être saluée par l'Arabie saoudite, alliée des Etats-Unis. Ryadh a classé les Houthis comme groupe «terroriste» en 2014 avant de prendre la tête en mars 2015 d'une coalition appuyant le gouvernement yéménite en guerre contre les rebelles. Pour le ministre de l'Information yéménite Moammar al-Eryani, les rebelles méritent d'être placés sur cette liste pour «leurs violations visant des civils, leur incitation au sectarisme et leurs attaques contre les voisins» du Yémen. Dans ce pays, déjà le plus pauvre de la péninsule arabique avant la guerre, 80% de la population dépend désormais de l'aide humanitaire. Pour l'ONU, il se trouve au bord de la famine. Selon des sources au sein du Congrès américain, la désignation des Houthis comme groupe «terroriste» est en cours d'examen mais le débat est vif. Et il n'est pas sûr que le processus soit achevé avant l'investiture du président élu Joe Biden le 20 janvier. Des parlementaires démocrates ont écrit au secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo pour l'appeler à protéger les Yéménites des retombées d'une telle mesure. Cette inscription «ne fera sûrement qu'aggraver la crise humanitaire dévastatrice et représenter un important obstacle pour l'aide humanitaire déjà débordée et pour le processus politique fragile au Yémen», ont-ils relevé. A Sanaa, on craint une décision imminente. Un avertissement encourageant les employés américains à partir plus au sud ou à quitter le Yémen a inquiété, raconte une travailleuse humanitaire, préoccupée par l'impact de la mesure pour la sécurité des travailleurs. Mais selon un responsable d'une organisation humanitaire, l'ONU n'a rien changé à ce stade concernant la sécurité. «Jusque-là, malgré certaines informations, il n'y a pas de retrait des employés», a-t-il dit.