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Les «certitudes» des maîtres du monde
Le Sommet de Davos a esquissé une cartographie géopolitique multipolaire
Publié dans L'Expression le 04 - 06 - 2022

À l'heure de la recomposition géopolitique des alliances post-pandémie de Covid-19 et à l'ombre de la crise militaro-politique russo-ukrainienne, le Sommet du World Economic Forum de Davos s'est tenu la semaine dernière sous un format combiné (présentiel et distantiel). Ce forum qui dispose d'un statut de partenaire stratégique de l'Organisation des Nations unies (ONU) regroupe depuis un demi-siècle l'élite mondiale politique et économique. Les conséquences de la guerre en Ukraine, la pandémie et la crise climatique étaient à l'ordre du jour. Les sessions ont porté essentiellement sur l'avenir de la coopération mondiale, les perspectives économiques, la construction des sociétés transparentes, la sauvegarde écologique de la planète, la transformation de l'industrie, l'amélioration de la gouvernance, le rééquilibrage économique, la sécurité alimentaire, l'innovation, et la cyber-sécurité.
Le sentiment général est que la crise multidimensionnelle qui touche l'ensemble de la planète a pour effet, une inflation exponentielle, des perturbations de la chaîne d'approvisionnement alimentaire et énergétique, et des risques migratoires élevés. Les pays en développement, en particulier, seront confrontés à une triple menace: crise alimentaire, crise du carburant et crise financière (avec la hausse des taux d'intérêt). La politique «Zéro Covid» en Chine qui a réduit la croissance de la deuxième économie mondiale et la hausse des taux d'intérêt (usd et eur) sont deux autres facteurs clés augmentant le risque de récession. Toutefois, aussi bien le Fonds monétaire international (FMI) que la Banque centrale européenne (BCE), ont indiqué, à Davos, que la récession mondiale serait évitée, mais que les risques de stagflation doivent être pris sérieusement en compte. La BCE a partagé un nouveau calendrier politique, qui prévoit une sortie des taux négatifs à partir de la fin 2022.
Délocalisation
Au chapitre de la mondialisation, définie comme étant la libre circulation des capitaux, des biens et services, et de l'information avec une mobilité humaine sélective, les participants ont convergé vers le fait que la mondialisation durable encadrée par des nouvelles règles des 3M (Market, Money, Mobility) devienne nécessaire pour faire face aux défis mondiaux.
La délocalisation des chaînes d'approvisionnement s'accélère pour les Etats-Unis et l'UE, mais l'objectif d'une «autonomie» complète est illusoire, un monde autosuffisant en blocs est un monde beaucoup plus dangereux et moins innovant.
La militarisation de l'alimentaire, des êtres humains (flux d'immigration), et des systèmes financiers (sanctions) est à contenir. Plus de coopérations multilatérales sont nécessaires pour relever ces défis.
En ce qui concerne le «choc des matières premières», il a été relevé que la faiblesse critique des stocks d'énergie et de métaux menace à la fois la reprise économique et la transition énergétique.
Le manque d'investissements dans l'amont de l'industrie pétrolière et gazière a entraîné la limitation actuelle de la capacité de montée en puissance. l'accord Opep+ touche à sa fin, mais il reste très peu de capacités pour augmenter la production.
Le danger de pénurie alimentaire est mis en évidence compte tenu du blocage des exportations des céréales de la mer Noire et de l'augmentation du coût des engrais et de l'énergie. 80% de la population mondiale dépend des importations pour se nourrir. La moitié de la hausse des prix alimentaires en 2007-2008 était due à des mesures politiques, les interdictions d'exportation amplifiant la situation. Les chiffres de la période actuelle montrent que la situation s'est dégradée de manière drastique avec un risque de secousses et turbulences sociales à l'image du «printemps arabe» de 2011.
La volonté d'accélérer la transition énergétique en Europe afin de réduire la dépendance vis-à-vis de l'approvisionnement énergétique russe.
La transition de l'Allemagne vers le gaz bon marché de substitution au gaz russe devrait prendre environ trois à cinq ans.
L'infrastructure d'hydrogène verte sera essentielle pour atteindre zéro émission nette.
L'UE dispose d'une force potentielle en tant que groupe d'achat unifié (achat commun de gaz ou de GNL par exemple), comme cela a été le cas pour l'achat commun des vaccins anti- Covid-19.
En dépit d'une situation alarmante présentement, les experts au Sommet de Davos se sont accordés sur le fait que la Méditerranée deviendra à terme le centre du nouvel approvisionnement énergétique mondial qui sera inévitablement lié à l'hydrogène vert. Trois scénarii futurs concernant la région de la Méditerranée, qui reposent sur un axe majeur d'évolution dénommé «Mediterrafrica», ont été mis en exergue: l'augmentation des potentialités économiques dans les nouveaux marchés émergents en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. Les pays sud-méditerranéens se tournent de plus en plus vers le Sud pour leur développement économique.
La rive Sud
L'Europe qui était repliée sur elle-même avant la crise politico-militaire russo-ukrainienne, commence à reconnaître cette tendance et ne compte pas rater une nouvelle période de croissance et de prospérité dans le Sud de la Méditerranée.
Il ressort de notre décryptage que les nouvelles élites seront de plus en plus réticentes à se consacrer à favoriser la coopération avec le Nord, mais plutôt à se concentrer sur le développement Sud-Sud. Aussi bien la Chine, la Turquie que l'Inde, contribueront incontestablement au renouvellement et au développement des infrastructures dans la région. En partie entraînée par des investissements importants et la demande croissante en provenance des pays Bric et du CCG, les entreprises d'Afrique du Nord et les entrepreneurs seront au centre du développement de nouveaux liens régionaux. Par conséquent, la rive Sud de la Méditerranée se positionnera comme une passerelle clé à la croissance rapide des marchés émergents en Amérique latine, en Asie et en Afrique du Nord et subsaharienne. Sans nul doute, l'Afrique deviendra l'histoire de la croissance surprise des deux prochaines décennies. Poussés par des investissements soutenus et la demande en provenance d'autres marchés émergents, plusieurs pays africains entraîneront l'ensemble du continent vers une plus grande intégration économique. La communauté d'affaires de l'Afrique du Nord, en particulier de l'Algérie et de l'Egypte, se joindra inévitablement à ce processus. L'Europe, quant à elle, du fait qu'elle s'était longtemps repliée sur elle-même trouvera des difficultés à se repositionner tandis que l'économie de l'Est et du Sud de la Méditerranée deviendra la principale plaque tournante pour le commerce africain en pleine croissance et les investissements. Les accords de libre- échange intra-continent connaîtront une dynamique nouvelle au détriment de l'Accord d'association avec l'Europe. Grâce à ces marchés potentiels nouveaux et dynamiques, les pays nord-africains se désintéresseront progressivement des initiatives de l'UE. Avec l'augmentation de la coopération Sud-Sud, une nouvelle identité Sud méditerranéenne se développera et la région s'érigera en puissance des marchés émergents de plus en plus influents avec de nouvelles élites gouvernantes bien consolidées.
Selon notre perspective, déjà exprimée en 2020 dans les colonnes de plusieurs médias, nous maintenons que le paysage mondial s'achemine vers une cartographie géopolitique multipolaire qui se dessinera avec ses certitudes relatives et ses incertitudes résumées comme suit:
Les Certitudes relatives
-Une globalisation irréversible, pour un monde de moins en moins occidentaliséé
-Un pouvoir grandissant des acteurs non étatiques dénommés (NGO, NGI))
-La propagation des nouvelles technologies..
-La montée de certains pays asiatiques et ll'avènement de nouveaux poids moyens de l'économie.
-Des populations vieillissantes au sein de puissances établies..
-Les capacités accrues des armes de destruction massive de certains acteurs..
-Un arc dd'instabilité qui continuera à se développer.
-Des questions environnementales et éthiques mises encore plus en avant..
-La faible probabilité de voir un conflit entre puissances majeures dégénérer en guerre globale..
-Les Etats-Unis dd'Amérique tentent de rester l'acteur prédominant.
Les Incertitudes majeures
-La globalisation aura-t-elle la capacité de tirer les économies en retard de développementt?
-La volonté et la faculté dd'adaptation des Etats et des institutions internationales aux acteurs non étatiques.
-Les pays asiatiques arriveront-ils à imposer de nouvelles règles du jeuu?
-LL'écart entre nantis et laissés-pour- compte risque-t-il de se creuser un peu plus?
-La portée du défi de la connectivité et des menaces cybernétiques pour les gouvernements..
-La montée de la Chine et de ll'Inde se fera-t-elle sans tensions?
-La politique de convergence de ll'Union européenne se désagrège-t-elle.
-La gestion et la maîtrise des crises financières récurrentes..
-La gestion et la maîtrise des crises sanitaires cycliques..
-La perturbation des approvisionnements en matières premières sera-t-elle récurrentee?
-LL'impact de l'idéologie «Extrémisme violent» sur l'unité des Etats et leur conflictualité potentielle.
-Les puissances nucléaires seront-elles moins ou plus nombreusess?
-La faculté des terroristes de tout bord à utiliser des armes de destruction massive (Cbrn)..
-La faculté de gérer les conflits dits de faible intensité et la compétition face aux ressources naturelles..
-La capacité des nouvelles technologies à résoudre des dilemmes éthiques..
En synthèse, les crises et conflits d'intensité variable et leurs corollaires malveillants du cyberespace deviennent des problématiques de rapports de force, d'influence et de contrôle par les puissances traditionnelles ou émergentes des aires géoéconomiques d'intérêt commun. Les Etats-Unis d'Amérique vont continuer à utiliser les trois formes de pouvoir (Hard Power, Soft Power et Smart Power) pour tenter de rester l'acteur prédominant sur les plans économique, technologique et militaire dans une configuration multipolaire.
30.05.2022 /*Docteur Arslan Chikhaoui, Expert en géopolitique et membre du Conseil consultatif d'experts du World Economic Forum (Forum de Davos) et partie prenante dans divers groupes de travail 'Track 2' du système des Nations unies (Unscr 1540)


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