20 mai 1972 - 20 mai 2024: cinquante-deux années se sont écoulées, depuis que le peuple camerounais a choisi, par référendum, de se forger en Nation, tournant ainsi la page de l'Etat fédéral, qui avait montré ses limites, une dizaine d'années après les indépendances respectives du Cameroun français et du Cameroun anglais. Si le vivre-ensemble, l'unité et l'intégration nationales sont au coeur des grandes préoccupations de nombreux pays africains dont les frontières actuelles ont été dictées par le hasard de la géographie coloniale, c'est qu'il y a un réel besoin de générer un suc intégrateur dans (chaque pays, qui permette d'aller de l'Etat vers la Nation. C'est cet enseignement majeur que le Cameroun a souhaité donner au monde, en choisissant la date commémorant son unité comme Fête nationale, contrairement à cette tendance majoritaire en Afrique où la Fête nationale célèbre l'Indépendance. Cette singularité dénote du caractère atypique du Cameroun dans le concert des nations, cette Afrique en miniature qui, depuis la période insoupçonnée de la lutte pour les indépendances, a démontré une conscience unitaire solide, qui s'est mue en dogme ou autrement en idéologie politique, pour enfin s'imposer en patriotisme unitaire présent dans tous les discours. Cela fait donc 52 ans, que le Cameroun célèbre les valeurs de l'unité, qui, à l'aune de la renaissance africaine, est un exemple pionnier qui fait mentir les clichés d'une Afrique incapable d'unité, et qui mérite bien d'être revisitée. De nombreuses études anthropologiques et ethnosociologiques ont montré que l'espace géographique qui correspond approximativement aux frontières actuelles de l'Etat du Cameroun, est un triangle de foisonnement des peuples et des cultures, depuis des âges. Du Golfe de Guinée au Lac Tchad, le Cameroun pré colonial s'étendait sur 4 aires culturelles, notamment le pays Sawa de la côte atlantique, l'aire culturelle Fang-Beti de la lisière Sud, les Grassfields de l'Ouest et la sphère culturelle soudano-sahélienne du Septentrion. Au sein de chaque ensemble culturel, les peuples entretiennent depuis des siècles des relations parfois conflictuelles, mais pour la plupart du temps, pacifiques. Les langues parlées sont depuis toujours proches les unes des autres, et les traits physiques des populations sont similaires. Entre les grands ensembles, les intellectuels ont trouvé de nombreux éléments intégrateurs et des emprunts culturels réciproques. Mieux que cela, les échanges économiques étaient fructueux entre les différentes régions. Le pays Sawa vendait les crevettes et le poisson à l'hinterland. Le pays Fang-Beti vendait l'huile de palme. Les Grasslands étaient pourvoyeurs de tubercules et de maïs, et le Nord sahélien offrait les tissus, les chevaux et la kola. Il existait donc un tissu économique presque intégré, qui offrait un sentiment de proximité à l'ensemble des peuples du triangle précolonial camerounais. Les fondements Ainsi grossièrement caricaturé, l'on comprend que le Cameroun pré colonial était certes une mosaïque de cultures et de langues, mais qu'il existait tout de même une certaine homogénéité entre les peuples, comme l'ont si bien prouvé les travaux d'universitaires camerounais de renom tels que le Révérend Père Engelbert Mveng, Martin Zachary Djeuma, Maurice Mveng Ayi, Adalbert Owona, Daniel Binam Bokoï, Julius Ngoh, Verkijika Fanso, pour ne citer que ceux-ci. C'est donc en toute logique que l'Allemagne, dans sa conquête africaine, décide de faire de cet ensemble, un territoire colonial unifié. À l'occasion du référendum d'autodétermination du 11 février 1961, le Oui l'emporta au Southern Cameroun ou Cameroun méridional. La partie nord, le Northern Cameroon se prononça de justesse pour l'intégration au Nigeria. Malgré la plainte du Cameroun oriental qui dénonçait un double collège électoral non prévu, l'ONU valida ce résultat. Le Premier ministre Foncha engagea aussitôt des pourparlers préparatoires pour la conférence constitutionnelle qui déterminerait les rapports avec le Cameroun oriental, en prélude à la proclamation de l'Indépendance fixée au 1er octobre 1961. À la suite des rencontres bipartites préliminaires de juin 1961 de Buéa et de Bamenda, deux délégations constitutionnelles du Cameroun occidental et du Cameroun oriental se retrouvent à Foumban du 16 au 21 juillet 1961, pour jeter les bases de la réunification. Les débats intenses sur le projet soumis par le président Ahidjo, permit de dégager un consensus sur la forme d'un Etat fédéral comprenant trois gouvernements, quatre assemblées, deux systèmes fiscaux, deux langues nationales.... C'est la naissance de la République fédérale du Cameroun. La naissance de la République fédérale du Cameroun fut saluée par Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, Sekou Touré et bien d'autres chefs d'Etat africains comme un accomplissement noble, et un exemple sur le chemin de l'unité africaine. Tous les Camerounais faisaient de cet Etat fédéral une fierté. Réunification Aussitôt après la réunification, le président Ahidjo se rendit compte de la complexité du système fédéral et surtout de la lourdeur administrative y afférant. Dès l'année 1963, il émit d'idée d'intégrer les forces politiques, pour créer un grand parti national unique qui serait le creuset de l'unité nationale véritable, quelques grandes figures du Cameroun francophone s'y opposèrent, mais les hommes politiques du Cameroun anglophone trouvèrent une grande pertinence à cette proposition. Le 1er septembre 1966, l'ensemble des partis politiques se réunirent pour créer l'UNC - Union nationale camerounaise, au nom de l'unité nationale. Dans sa logique politique, le président Ahidjo estimait que le Cameroun était un patrimoine commun, que les Camerounais avaient beaucoup de traits en partage, qu'il était ridicule d'être finalement divisé par deux langues étrangères. C'est pourquoi, le 6 mai 1972, devant l'Assemblée fédérale réunie en session extraordinaire, le président Ahmadou Ahidjo annonce la tenue d'un référendum sur l'état unitaire. Dans un discours très applaudi, il déclare: «Ma conviction, ma profonde conviction est que le temps est venu pour dépasser des structures fédérales.» Pour éviter de donner de la substance aux critiques serviles et aux jugements de valeur déplacés, le président Ahidjo décida de constituer deux collèges électoraux pour le référendum: un collège électoral pour l'Etat fédéré du Cameroun méridional et un autre pour l'Etat du Cameroun oriental. Au cours de la campagne pour le «Oui», tous les leaders politiques du Cameroun anglophone, notamment John Ngu Foncha, Salomon Muna, Augustine Ngom Jua, Emmanuel Endeley, Egbe Tabi... ont parcouru villes et villages pour appeler à voter «Oui» pour un Cameroun uni et prospère. La proposition soumise à référendum était la suivante: «Approuvez-vous, dans le but de consolider l'unité nationale et d'accélérer le développement économique, social et culturel de la nation, le projet de Constitution soumis au peuple camerounais par le président de la République fédérale du Cameroun et instituant une République, unie et indivisible, sous la dénomination de République unie du Cameroun?» Le 20 mai 1972, les populations des deux Etats votent séparément, dans deux collèges électoraux différents. Les résultats cumulés donnent, sur 3179634 votants, 1612 bulletins nuls et 176 voix contre; 3177846 voix ayant plébiscité la naissance de la République unie du Cameroun. Conclusion Le chemin de l'Unité nationale camerounaise est non seulement l'histoire de l'échec de la politique coloniale de balkanisation de l'Afrique, mais aussi et surtout l'odyssée de l'héroïsme des peuples qui, par leur seule volonté peuvent rester unis sur la base de leur cohésion culturelle revendiquée. Si au Cameroun, la référence à l'unité est partout présente, relevant parfois du domaine de l'obsessionnel, il convient de convoquer le chemin parcouru pour voir la détermination des grands hommes et l'adhésion des peuples qui ont écrit ces belles pages de l'histoire moderne de l'Afrique. «Si l'unité du Cameroun bégaie, disait Nzo Ekangaki à ses frères du Cameroun occidental, l'unité africaine faillira, car l'expérience unitaire à l'échelle miniature aura échoué.» L'unité est depuis de nombreuses années le mot le plus récurrent dans tous les discours officiels et politiques au Cameroun. D'ailleurs, l'image du monument de la réunification est le fond graphique de tous les documents officiels d'identité. Par ailleurs, les noms de baptême célébrant l'unité se sont imposés partout, le stade de la Réunification, le boulevard du 20 Mai, l'hôtel de l'Unité... le palais de l'Unité, siège de la présidence de la République. On se rend donc à l'évidence que le concept d'unité s'est mu en véritable idéologie, témoignage de la volonté farouche de vivre-ensemble. En fin de compte, il y a quelque chose de foncièrement et de spécifiquement camerounais dans ce foisonnement culturel qui forge la fierté d'appartenir à un pays dans l'assimilation de cette différence artificielle que constituent les langues étrangères. Car pour tenir le langage de la logique, un Sawa de Douala et un Sawa de Buéa, un Tikar Bamoun et un Tikar Banso ne sauraient renier leurs identités culturelles fondamentales du simple fait de la pratique des langues étrangères différentes. Et si l'anglais et le français devaient nous diviser, au nom de l'unité africaine, il vaudrait mieux sonder la troisième voie linguistique prônée par Cheikh Anta Diop pour la renaissance de l'Afrique à travers le développement des langues africaines au niveau international. Ambassade du Cameroun en Algérie