L'Expression: Votre association vient de rendre un hommage grandiose au regretté Hassene Abassi, comment l'idée d'honorer ce chanteur exceptionnel est née? Mohammed Kebci: L'idée de rendre un hommage à Hassene Abbassi remonte au temps où celui-ci était encore en vie. Toutes les tentatives faites dans ce sens par plus d'un ont échoué face au refus poli de l'intéressé qui a à chaque fois estimé qu'il n'était pas encore temps pour lui rendre hommage et qu'il fallait penser aux autres. À son décès donc, en juillet dernier, l'idée de lui rendre hommage a ressurgi de plus belle surtout que la démarche avait bénéficié de l'assentiment de la famille qui a tenu à nous accompagner dans la concrétisation de l'initiative. Nous pensons, et contrairement à ce qu'estiment certains, que les hommages post-mortem ne sont pas aussi inopportuns comme ils me le disent puisqu'ils permettent de perpétuer la mémoire de nos artistes et de nos hommes de culture disparus et de transmettre leurs messages aux générations montantes. Pouvez-vous nous mettre un peu dans l'ambiance de cet événement culturel? Ce fut tout simplement une manifestation réussie sur tous les plans. Sobre et modeste comme fut celui à qui il était dédié, cet hommage a vu la présence de nombre de ceux qui ont eu à connaître de près le défunt chanteur et certains qui n'ont pu y être pour des empêchements personnels ont tenu à apporter leurs témoignages comme Benmohammed et Abdelmadjid Bali. Aussi, cette manifestation a été marquée par une présence remarquable de beaucoup de jeunes et le concert de chants organisé a vu nombre de jeunes interprètes reprendre admirablement des chansons phares du défunt chanteur. À ce propos, l'idée d'enregistrer ces chansons est née avec, notamment des chansons en duos qu'interpréteront de jeunes chanteurs parmi ceux qui étaient présents à cet hommage. Vous voyez donc, que cet hommage a bien atteint ses objectifs. Vous avez organisé aux Ouacifs une rencontre avec le grand et talentueux chanteur Farid Ferragui pouvez-vous nous en parler? En fait, l'invitation de notre illustre chanteur Farid Ferragui rentrait dans le cadre de notre atelier intitulé «Timlilit aked ucennay» ou «Rencontre avec un chanteur» que nous avons lancé au même titre que quatre autres ateliers dédiés, qui à la littérature amazighe, qui à la poésie amazighe, qui au cinéma et, qui aux autres thématiques diverses. Et la rencontre avec Ferragui a été véritablement un moment de bonheur pour les nombreux citoyens qui étaient présents, à qui nous avons offert la possibilité d'échanger avec leur idole et d'apprécier certaines de ses oeuvres qu'il a lui-même interprétées et d'autres reprises par d'autres artistes présents à l'événement. Il faut noter qu'avant Ferragui, nous avons eu à accueillir d'autres illustres chanteurs comme Athmani, Ould-Maamar Mustapha, Akli Ait-Boumehdi et juste la semaine écoulée, nous avons eu l'immense honneur de recevoir le maquisard de la chanson sentimentale, Hacène Ahres. Aussi, il ne faut pas oublier qu'à chacune de ces rencontres, nous prenons le soin de convier des noms parmi ceux qui n'ont pas eu la chance de percer mais également, parmi la nouvelle vague de jeunes chanteurs, qu'ils soient de chez nous ou d'ailleurs. Des rencontres qui nous ont, ainsi permis de détecter de talents insoupçonnés à l'image du jeune Mohand-Akli Ouarab de Yattafène, Katia Ould-Amara d'Iferhounène et nos deux charmantes jumelles Déline et Délina Keddam qui viennent d'ailleurs d'être distinguées à Tizi Ouzou lors d'un concours inter-associations à l'occasion de la célébration de la Journée internationale de la langue maternelle. Vous organisez également des rencontres littéraires avec des écrivains d'expression amazighe, peut-on en savoir plus? Notre action se veut pérenne et surtout en droite ligne de la philosophie qui la guide....À ce titre, nous avons lancé plusieurs activités sous formes d'ateliers dédiés chacun à un volet bien déterminé et nous avons également et délibérément décidé de les baptiser par des noms d'illustres personnages ayant marqué justement ce volet. Ainsi, n'a-t-on pas baptisé l'atelier de littérature amazighe du nom de Si Amer Boulifa, l'atelier de poésie amazighe du nom du barde Ahmed Lemseyyeh, le concours de dictée en tamazight du nom de Belaid At-Ali, le prix de lecture en tamazight du nom de Mouloud Mammeri et tout récemment le ciné-club au nom de feu Abderrahmane Bouguermouh. Une démarche bien réfléchie qui couvre bien d'objectifs dont celui de rendre hommage à ces illustres personnages qui ont dédié leurs vies à la sauvegarde de notre patrimoine civilisationnel et identitaire, chacun dans le domaine qui était le sien et de perpétuer leur combat au sein des générations montantes que nous tentons de «contaminer» de ce virus du tout pas nuisible mais ô combien salvateur. Contrairement à beaucoup d'associations, pour ne pas dire la majorité, Tanekra a un programme d'activités régulier. Est-ce qu'on peut savoir d'où puisez-vous toute cette énergie et cette volonté pour maintenir ce rythme de travail? En fait, nous nous sommes engagés, dès le départ, parmi les membres fondateurs de notre association à lui conférer une trajectoire toute autre que celle qui prévaut chez nombre d'autres entités associatives. Cela n'a pas été une mince affaire surtout qu'il fallait se départir de bien de réflexes bien ancrés dans l'action à très forte empreinte folkloriste. Quelles sont vos autres activités culturelles que vous organisez, notamment à Ouacif? En sus des ateliers suscités, nous avons également lancé des activités tout aussi pérennes comme des ''journées de la mémoire'' que nous organisons à l'occasion de la célébration de la fête de l'Indépendance nationale avec à chaque fois une thématique bien précise. À ce propos, il est utile de souligner que nous avons lancé un grand projet de mémoire puisque nous avons réalisé le portrait de chacun des 110 martyrs de notre village en plus de l'installation de plaques commémoratives aux endroits où une quarantaine de villageois étaient tombés en martyrs au village. Nous célébrons également les différentes dates phares de notre glorieuse guerre de Libération nationale de même que nous organisons des activités à l'occasion d'autres événements ayant marqué le long combat identitaire comme le printemps amazigh notamment. Qu'en est-il de vos projets immédiats et à moyen terme? En ce qui concerne nos projets, nous sommes en plein préparatifs de la troisième édition du prix Mouloud Mammeri de lecture en tamazight. Actuellement, nous réfléchissons, notamment à apporter des modifications aux conditions de participation et revoir pourquoi pas la nature des distinctions à remettre aux lauréats. Bientôt, nous nous engagerons dans la préparation de la troisième édition du prix Belaïd At-Ali de dictée en tamazight que nous organisons de tradition en mai. À la même date, nous tenons une autre activité régulière, soit un hommage que nous rendons à une corporation donnée. Après les agents d'entretien et les paramédicaux de la région que nous avons honorés ces deux dernières années, nous devons en faire de même cette année pour une autre corporation que nous retiendrons en temps opportun. Il y a également, une autre tradition, celle d'un hommage annuel à rendre à un chanteur que l'on tient à la mi-juillet. Après Aldjia l'année dernière, le tour sera cette année pour un autre chanteur. Au menu également de notre association, une cérémonie en l'honneur des élèves du village dont, notamment les bacheliers du village où qu'ils soient établis. Nous nous attelons également, à la tenue régulière d'un colloque dédié au patrimoine du village. Nous sommes au stade de maturation du projet en concertation avec des spécialistes du domaine. Avec, cependant, la première édition qui sera dédiée à la toponymie surtout que nous nous préparons à une vaste opération d'installation d'une soixantaine de plaques nominatives des lieuxdits au village. Enfin, nous devons entamer sous peu, les préparatifs pour la tenue de «Ilemzi tikti», un festival pluridisciplinaire du genre d'un ''mini-Raconte-Arts'' dont il s'agira cette fois, de la troisième année. Comment réagit la population locale des Ouacifs par rapport aux activités que vous organisez? Il faut avouer que tout à fait au début, nos activités n'intéressaient pas grand monde et certains ont même misé sur un essoufflement précoce. Mais c'était sans compter sur la détermination et l'engagement des membres de l'association qui ont tenu à persévérer et à redoubler de volonté au vu de l'aura que ces activités pluridisciplinaires collectionnaient au fur et à mesure que nous avancions. Pourquoi avoir choisi d'activer principalement aux Ouacifs au lieu du chef-lieu de wilaya en dépit de l'importance des activités que vous initiez? Pertinente question que plus d'un nous pose. Tenir le gros de nos activités au village relève d'une option délibérément choisie et ce, après avoir pris compte des expériences passées. Pour nous, il s'agit d'abord et avant tout d'offrir à nos concitoyens de notre village et ceux des villages environnants un menu culturel diversifié répondant à presque tous les goûts et sans avoir à se déplacer beaucoup. C'est en quelque sorte ramener la culture dans toutes ses déclinaisons vers les villageois. Une stratégie payante puisque nous enregistrons des affluences de plus en plus appréciables lors de nos divers rendez-vous avec, il faut le relever, une présence plus significative de la gent féminine. Des villageois auxquels nous offrons l'immense honneur de rencontrer un chanteur ou un auteur ou tout autre artiste, discuter avec lui et prendre des photos avec eux. Ce sont des moments, pour ainsi dire, de rêve que nous réalisons pour beaucoup de nos concitoyens, gestes qu'ils apprécient beaucoup à tel point que de plus en plus de ces citoyens sont devenus des habitués de ces rencontres conviviales et divertissantes à moindre frais. Certains d'entre eux nous épaulent dans l'organisation et nous assistent, chacun selon ses moyens et sa disponibilité. Cela dit- il nous arrive d'organiser des activités en «dehors de nos bases» quand nous sommes invités comme ce fut le cas en janvier dernier quand nous participions pour la deuxième année de suite aux célébrations de Yennayer à Alger ou encore à l'occasion de manifestations organisées en collaboration avec la direction de la culture et des arts de la wilaya de Tizi Ouzou comme fut le cas à maintes reprises et dont le dernier exemple fut l'hommage rendu à l'illustre chanteur Hassene Abbassi. Aussi, notre troupe théâtrale Imesddukal voyage bien puisqu'elle prend part depuis peu à maintes manifestations en dehors de la wilaya. Vous avez des partenaires qui vous épaulent dans l'organisation des activités culturelles, pouvez-vous nous en dire plus? Evidemment, s'il n'y avait pas ces mécènes, nous n'aurions pas tenu. Des gens qui croyaient en notre projet, nous accompagnent depuis le début et d'autres le font au fur et à mesure que nous avançons puisque nous enregistrons régulièrement de nouveaux partenaires qui nous apportent l'assistance nécessaire, qui en nature et d'autres en espèces. Que tout ce beau monde trouve, ici, l'expression de notre profonde considération. Car dois-je le répéter, sans eux, nous ne serions pas où nous en sommes actuellement.