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L'homme qui a égaré l'enfant qu'il était
HAD-EZZINE ET AUTRES CONTES DE ABDELWAHAB BOUMAAZA
Publié dans L'Expression le 09 - 01 - 2008

Conter doit être une action qui fait penser l'enfant et bondir son esprit.
Le petit livre Had-Ezzine et autres contes (*) de Abdelwahab Boumaaza a le mérite d'inciter beaucoup de monde à réfléchir (auteurs, éditeurs, présentateurs d'ouvrages pour la jeunesse, enseignants, parents d'élèves, bibliothécaires, libraires, lecteurs...) et à comprendre une fois pour toutes -mais est-ce possible?-, que l'homme doit apprendre à aimer par le récit fort et plein et par le bon modèle sur des sujets vraisemblables sinon tout à fait vrais. Quand cela se pourrait-il? Eh bien, quand l'écrit se rapproche du bon goût lié à la fantaisie de la libre imagination et du rêve, quand l'écrit se fait oublier, quand il exprime l'âme humaine, c'est-à dire quand il se donne la brillante générosité de la précieuse parole du conteur, celle de nos grands-parents, par exemple, et de nos madâd-ha qui n'avaient pas besoin, pour nous instruire, d'être des professeurs qui «parlent trop bien» et pour nous faire comprendre, d'être des psychologues qui «veulent nous changer au lieu de nous considérer».
Le conte éduque par l'émotion et par le réalisme des situations, et par ces dernières, si totalement imaginaires qu'elles soient dans le temps et dans le ton du récit, l'idée de vraisemblance s'établit avec bonheur et profit. Evidemment, le conte est un art; son écriture est un art et c'est par là que passe l'émotion et que le vraisemblable ne fait pas de doute. Il faut donc, s'agissant de l'enfant, former par l'émotion pour éveiller l'esprit et éduquer par la vraisemblance des faits et des événements pour enseigner la logique.
Mais il est encore l'autre question, fondamentale, permanente: la lecture, ce plaisir supérieur que l'école à la charge et la responsabilité d'enseigner à nos enfants. Lire, ce n'est pas un amusement,...ni un ennui de luxe. Sans doute, certains n'éprouvent du bonheur que s'ils feuillettent des albums qui ne demandent aucune instruction; ils se distraient; ils ne découvrent rien, leur aventure de «distraction» commence et finit, toujours au même endroit. D'autres détestent la lecture -«Chose inutile! prétendent-ils.» J'en témoigne: une mère tourmente sa fille qui lui réclame de lui acheter un livre. La fille insiste, la mère refuse. Pourquoi, madame? «Je n'aime pas la lecture, répond-elle.» Serait-elle «femme au foyer, très occupée»? «Non! je suis professeur de lettres au lycée, dit-elle sur un ton de suffisance.» Ah! madame, gardez-vous de le dire haut et fort, on vous accuserait du manque d'intérêt marqué par nos enfants à la lecture! Eh oui! ce propos arrive à point, wal hadît qiyâs, dit-on.
Mais revenons à Boumaaza qui est, nous dit-on, rédacteur en chef au quotidien El Watan (région Est) et à Had-Ezzine qui est son premier ouvrage édité, si l'on ne comptabilise pas les nouvelles, poèmes et contes parus dans la presse. Had-Ezzine et autres contes comprend trois contes: El-Kehane et les quarante voleurs (13 p.); Baba Ali, le vieil homme (16 p.); Mon enfant chéri (50 p.). Ces trois contes sont d'inégale valeur littéraire, mais on sent le soin que l'auteur a mis aussi ici et là. Le titre du recueil est tiré du nom du jeune prince Had-Ezzine (Beauté à son extrême limite), ainsi appelé «Tant il était d'une rare beauté», écrit l'auteur. De même signalons que nous n'avons pas spécialement rêvé, comme a pu l'être le rédacteur de la quatrième page de couverture, «devant les mélodieuses aquarelles de Bettina Heinen-Ayech», trois aquarelles censées illustrer chacune un récit.
De même, chaque conte tente de se développer à partir d'ingrédients classiques, trop imités, hélas, des récits puisés, affirme-t-on, «dans le patrimoine mythologique et philosophique de tout un peuple», mais est-ce suffisant pour légitimer une pertinence quelconque? Comme ces récits pourraient paraître plus ou moins mièvres, car ils sont bourrés de clichés, de contradictions temporelles, de lieux communs, de maladresses structurelles, il est à craindre que les lecteurs auxquels A. Boumaaza s'adresse ne perdent patience, négligeant des paragraphes où pourtant poésie et réflexion annoncent un écrivain. Un récit oral, pour passer à l'écrit, exige une nouvelle création, voire une refondation.
C'est là que le talent de l'écrivain-conteur doit transparaître, et d'autant qu'il faut «rendre» le conte original dans sa version traduite (ici française), sans folklorisme afin de ne rien perdre du suc qui a fait sa valeur esthétique, éducative et humaine. Traduire, reprendre, interpréter, ce n'est certes pas facile. Mais nous avons eu à lire des oeuvres magnifiques de notre patrimoine immatériel, reprises et transmises magnifiquement par nos écrivains, par exemple, Baba Fekrane de Mohammed Dib.
Quoi qu'il en soit, le coup d'essai de Abdelwahab Boumaaza est prometteur. Il démontre combien les intentions de cet auteur sont louables, car il interpelle nos écrivains, nos dessinateurs, nos éditeurs et nos institutions éducatives. Aussi a-t-on raison d'écrire en page 4 de la couverture: «Faut-il rappeler qu'un enfant qui s'abreuve de contes et de récits merveilleux se dotera d'un imaginaire assez étoffé, s'affirmera, s'épanouira...en faisant un excellent apprentissage de la maturité? Faut-il constater aussi que l'enfant, chez nous, malheureusement, en est sévèrement sevré?» Pour cela seul, je reste attentif à la production prochaine de Abdelwahab Boumaaza.
(*) HAD-EZZINE ET AUTRES CONTES
de Abdelwahab Boumaaza
Editions Alpha, Alger, 2007, 93 pages.


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