L'exhibitionnisme politique n'a-t-il pas assez duré? L'état de déprime dans lequel a sombré le pays depuis quelques mois n'est guère rassurant. Surtout pour le gouvernement actuel de Belkhadem qui n'arrive pas à déminer le terrain menaçant d'une fronde sociale déjà en effervescence et largement annoncée par les dernières grèves dans l'enseignement et la fonction publique. Face aux problèmes qui se démultiplient dans des secteurs sensibles, face au silence des autorités que l'on a si souvent interpellées sans obtenir de réponse, les Algériens s'interrogent s'il y a bien un gouvernement dans le pays. Toutes les crises politiques, ayant fini par marquer la vie d'une nation, ont eu souvent pour origine des revendications sociales mal perçues et mal traitées. Le président Bouteflika a constaté que son programme rencontre, aujourd'hui, de sérieuses entraves dans son application. Au cours de ses nombreuses visites dans le pays, c'est la même rengaine qui revient: retard dans la réception des infrastructures et des logements, absence de prévision et de gestion des besoins réels de la population en produits de première nécessité, une relance économique cahotante par la frilosité qui bloque les investisseurs privés face aux obstacles de la bureaucratie et de la corruption érigés en véritable danger national. Et si le nombre des candidats à l'«aventure harraga» et de ceux maintenus dans l'appauvrissement que leur inflige le chômage est en constante augmentation, c'est qu'il existe des raisons évidentes. Il devient impossible de se soustraire à cette dure réalité. La faute n'incombe pas au Président. C'est certain. Mais que fait son équipe gouvernementale pour remédier aux demandes pressantes d'une jeunesse en mal de vivre, si ce n'est de continuer à vendre du rêve aux Algériens? Le nombre de chômeurs a augmenté. Le pouvoir d'achat a baissé. Quand ces deux courbes viennent à se croiser, les économistes les plus optimistes du monde vous diront qu'il faut s'attendre à du grabuge. Les lignes de fracture sont hélas si nombreuses aujourd'hui qu'il devient urgent de réagir et d'en finir avec le discours machiavélique de promesses pour espérer une accalmie ou faire croire à l'opinion publique une «trêve sociale». Pis encore, les réformes que le Président s'est échiné à vouloir mettre en branle depuis quelques années, sont restées lettre morte. Les Algériens ont fini par ouvrir les yeux et s'interroger si le fossé ne se creusait pas, chaque jour davantage, entre le Président et son équipe gouvernementale. Aujourd'hui, la réalité crève les yeux. Quand les Algériens applaudissent Bouteflika dans ses sorties, ils huent le gouvernement. L'heure n'est-elle pas venue de faire bouger les lignes d'un discours gouvernemental qui tombe en désuétude? Il faut vite remettre l'Algérie en mouvement si l'on veut nous épargner des spectacles de jacquerie et des émeutes défrayant la chronique de la vie de nos régions. La situation est enkystée dans une nasse de problèmes sociaux que les gens n'arrivent plus à comprendre. Comment accepter toute cette misère dans une Algérie si riche qu'elle ne l'a jamais été? Dans cette République où l'on a pris la mauvaise habitude de pratiquer le mélange des genres, ne faudrait-il pas en fin de compte déplacer le curseur, comme on le dit en jargon informatique, sur les sujets qui fâchent? L'Etat régalien, c'est l'Etat en rupture de ban avec le peuple. Nous n'en voulons pas. Mais que faire? Le Président Bouteflika doit trancher vite pour préserver la paix sociale. Face aux échéances politiques qui s'annoncent à court et à moyen termes, la révision constitutionnelle et l'élection présidentielle de 2009, je ne pense pas qu'il faille faire perdre trois mois, sinon plus au pays à un an de son troisième probable mandat, en nommant un nouveau gouvernement qui devra se soumettre aux longues séances de présentation du programme et de débats à l'APN, sans compter le temps mis à prospecter et à choisir les futurs ministres. La solution à ce casse-tête chinois ne consisterait-elle dès lors pas à remplacer simplement l'attelage boiteux? C'est-à-dire à opérer un remaniement ministériel capable d'insuffler un sang nouveau à certains départements ministériels dont l'inactivisme, s'il persistait, irait jusqu'à éclabousser la crédibilité de l'Etat. Imaginons un seul instant que la «crise de la pomme de terre» ressurgisse en octobre prochain ou que le prix du bidon d'huile subisse, de nouveau, une hausse de 50%. Accepterions-nous après ça, et avec la menace de quelles terribles conséquences sur notre stabilité politique, de voir encore siéger au gouvernement des ministres incapables de planifier correctement l'approvisionnement en tubercules de 30 millions d'Algériens ou de stabiliser le prix public de l'huile de table ou du lait? Comprenons donc que ce n'est pas avec des mots que l'on gouverne une nation. Il est vital pour nous de ne pas voir se reproduire les mêmes erreurs qui, sous d'autres cieux, ont conduit déjà à voir du sang sur les murs. A défaut de corriger ces lamentables erreurs, le pouvoir a le devoir de vite rassurer les Algériens sur leurs préoccupations domestiques. C'est la tâche principale de M.Belkhadem. Cela même si en politique, ce que l'on fait croire est aussi important que ce que l'on dit réellement.