Le mot solidarité retrouve son véritable sens: rassembler tout le monde autour d'un même idéal. Le village d'Ibakourene, dans la commune d'Amizour, était en liesse le week-end dernier, fier de retrouver une de ses traditions ancestrales qui est «ewziaa» ou «timechret». Un tel événement est toujours vécu passionnément par la population. La joie des retrouvailles avec toutes les familles du village, celles émigrées, avec tous les fils du village partis ailleurs et enfin la joie de renouer, l'espace d'une journée, avec la solidarité qui caractérisait, dans le passé, tous les villages kabyles. Le mot solidarité retrouve son véritable sens: rassembler tout le monde autour d'un même idéal, l'entraide, le soutien, la compassion, le partage, le pardon...Le village d'Ibakourene est situé sur les hauteurs d'Amizour, à quelque 5km du chef-lieu de daïra. Il surplombe admirablement les basses plaines de Merdj Ouaman. Nous sommes donc le jeudi 28 août, soit à quatre jours du début du mois sacré. Il fait un temps superbe. La montée vers le village est difficile par une route sérieusement délabrée sur les 1km 800 d'une bifurcation à partir de la Route nationale 24. Cependant, les pittoresques tableaux des hauteurs d'Amizour jumelés aux sublimes monts d'Aourir, lieux aux trois saints, qui veillent fièrement sur cette région, nous font oublier les tracas de la route. Zoubir, notre guide ne cessera pas de nous orienter mais surtout nous enrichir de nouvelles connaissances sur une région qu'on croyait connaître, si bien! «Notre village est peuplé actuellement d'à peine une trentaine de familles, les dures conditions de vie ont contraint la population à se déplacer vers les villes voisines. A travers le recensement fait à l'occasion de cette initiative, on a retenu plus de 293 familles». Toutefois, «la population a toujours manifesté sa présence dans les moments difficiles qu'a traversés le village», dira Salah, un villageois. Un vieux du village renchérit: «Notre village a été évacué en 1958. Nous avions à l'époque le choix d'intégrer l'armée coloniale ou de partir. Nous avons choisi la 2e option.» Pour revenir à l'initiative, l'idée a germé en réponse à un besoin de se retrouver entre villageois. Sur l'esplanade du village, tous les présents ont trouvé de quoi s'occuper, la préparation battait son plein. Les nécessiteux n'ont rien à payer. La vieille tradition kabyle véhicule une formidable symbolique. En ce sens qu'elle constitue un signe de solidarité collective, la preuve d'une dynamique et d'une société en mouvement mais qui refuse de se déraciner vis-à-vis de ses traditions et coutumes. C'est justement dans cet esprit que l'initiative est fortement louable. Les jeunes ne sont, bien évidemment, pas en reste puisque leur implication effective est salutaire pour la réussite de «ewziaa». Ainsi, Karim, Doudine et les autres ont tous mis leur grain de sel. Interrogé par un vieux du village, Doudine déclare «être fier de prendre part à un tel événement pour la première fois». «C'est là où réside l'importance d'une telle action: le retour aux sources, des familles entières font leur come-back à l'occasion», fait remarquer Salah. L'appel des villageois d'Ibakourene a trouvé un écho favorable également chez les autorités locales qui ont affiché leur présence. Il y avait le maire d'Amizour, Salem Mammeri qui a eu l'occasion d'évaluer la situation du village. Il faut dire que le village manque de tout. Pas d'assainissement, toutes les ruelles sont dégradées. Une virée dans les profondeurs de ce village nous fait découvrir la splendeur du savoir-vivre kabyle, au milieu du silence dominant. La voie rauque de notre guide, nous renvoie aux années fastes, quand ces ruelles étaient animées par le bruit des habitants, «la plupart des habitations sont étrangement vides, c'est dû essentiellement aux mauvaises conditions de vie. L'Etat n'a rien fait jusque-là pour ce village». Et d'ajouter: «Nos enfants sont contraints de parcourir plus de 5 kilomètres à pied pour rejoindre l'école primaire.» Les villageois d'Ibakouren ont donc marqué des points car, au-delà de la viande bovine que se sont partagés les citoyens- quatre génisses au total- il y avait un climat de fraternité, le plaisir de se retrouver, une symbiose qui rappelle les présents des jours d'antan. Le vendredi, les citoyens se sont retrouvés, de nouveau, pour le partage de la viande mais aussi pour la pose de la première pierre pour l'érection d'une stèle à la mémoire des 17 martyrs tombés au champ d'honneur. Tout ce beau monde s'est quitté dans l'espoir de se retrouver, dans les mêmes circonstances, l'année prochaine, pas dans 10 ans, comme ce fut le cas cette fois-ci!