La satisfaction illumine le visage de la maman après sa «mission» de cuisinière. L'appel du «muezzin» va retentir d'un instant à l'autre sur les terrasses d'Alger. Les pas des retardataires se font hâtifs et plus saccadés. Le silence sur la ville s'installe déjà. Il se prolongera et sera presque total, dans un instant, lors du repas de rupture du jeûne. La famille est réunie autour de la table, une «meïda» pour certains, alors que le chef de famille doit revenir incessamment de la mosquée ou n'a pas encore terminé sa prière dans sa chambre. Les plus jeunes garçons s'empressent et sont en passe de finir d'ingurgiter, c'est le cas de le dire, leur élixir «libérateur» qu'est la «chorba». Ils réclament tout de suite le dessert sans passer par le second plat et s'apprêtent déjà à filer dans la rue où les attendent d'autres copains plus rapides qu'eux et pour lesquels le Ramadhan n'existe qu'en soirée. C'est à ce moment précis que la «maman-ménagère-cuisinière» pousse un soupir non pas de soulagement mais de déception et de regret. Tant d'heures pleines d'efforts passées autour des fourneaux pour ne pas voir ses enfants (mâles) déguster le fruit de tant de patience, de finesse, d'astuces alimentaires...pour préparer un mets, des mets à la hauteur d'une journée d'abstinence parfois dure. Heureusement, les filles sont là pour apprécier et lancer des compliments au cordon-bleu familial, fussent-elles également de la partie, aux côtés de leur mère, pendant tout l'après-midi. Le père, quant à lui, savoure en silence les plats qui se succèdent, grommelant d'un air souvent satisfait des appréciations qui vont droit au coeur de la maman qui répond en silence en affectant un sourire qui lui éclaire tout le visage et efface toute trace de fatigue. Arrive le dessert, ou plutôt les desserts chauds et froids. Entendre par là le fameux «El Ham Lahlou», les fruits et même parfois des glaces que l'on déguste dans la pièce à côté qui sert de salon. Ce dessert froid est servi généralement après le moment du café, instant suprême de délicatesse du papa, lissant sa moustache, repu de bonne chère et de chaleur familiale, que seul le Ramadhan sait lui apporter. Le toujours présent «kalbelouze» est bien sûr proposé souvent en même temps que d'autres gâteaux au miel. Parfois, l'une des filles s'aventure à préparer du thé, pour la première fois pour les plus jeunes. Ces instants ont déjà commencé à être savourés par la famille alors que la maman, termine les dernières «corvées» de la cuisine dont la vaisselle nombreuse à laver et le coup de chiffon final, quoique rapide, qu'elle donne. Elle s'installe enfin pour savourer son café et pousse un second «ouf», celui-là de satisfaction devant le bonheur affiché de ses «hôtes» de tous les jours. Devant les réprobations du père qui s'offusque de l'absence des garçons à cette petite fête quotidienne, elle répondra, sous l'oeil approbateur des filles mais tout en l'approuvant intérieurement: «Ce sont des garçons, tu sortais toi aussi étant jeune et même, souviens-toi, pendant les premiers mois de notre mariage!» Le complexe d'Œdipe, le personnage de la mythologie grecque, prend ici toute sa signification dans l'amour majeur que porte une maman envers son fils... La soirée s'égrène au fil des séries télévisées dont certains sont «in», comme le fameux feuilleton turc qui accapare l'intérêt de toutes, et peut être de tous. Les filles rêvent et voyagent à travers le film et la maman, ravie, accompagne ses filles pour s'évader aussi un peu dans ce rêve...