«Nous n'avons pas eu un cinéma, nous avons eu des films dont quelques-uns étaient bons. Le cinéma se construit aujourd'hui grâce aux jeunes...» Homme de culture et de cinéma émérite, il a toujours été à l'avant-garde dans son pays. Célèbre pour son émission «Télé Ciné-club» qui a fait les beaux jours de la Télévision nationale dans les années 1970 et 1980, sa renommée et sa popularité sont telles qu'il n'est plus à présenter. Ahmed Bedjaoui est aussi celui parmi les premiers à avoir tiré la sonnette d'alarme suite à la dissolution des entreprises étatiques Enpa, Caaic, Anaf à la fin de l'année 1997.Il a ainsi été à la tête de l'élaboration du Centre national de la cinématographie et de l'audiovisuel (Cnca). Ce professeur à l'Université des sciences politiques et de l'information continue depuis à prodiguer ses conseils. Et le pays a bien besoin de son expérience pour évoluer, a fortiori, dans le domaine cinématographique. Dans cet entretien qu'il nous a accordé avec beaucoup de modestie, trait des grands hommes, il nous parle ici de l'atelier d'écriture de scénario, entamé hier et encadré par des professeurs d'ici et d'ailleurs sur initiative de l'association Arpa (des réalisateurs professionnels algériens), de la situation du cinéma en Algérie, sans aucune nostalgie du passé. Avec un regard sévère, voire critique, il revient sur le désordre qui règne dans le 7e art en Algérie. Enfin, il dévoile pour nous quelques pans du programme du futur et de l'événement phare que notre pays va accueillir cet été, autrement dit le Festival culturel panafricain. L'Expression: Pourriez-vous nous parler de la rencontre sur l'écriture de scénario que vous venez de coordonner ici à la salle Frantz-Fanon (Oref). Ahmed Bedjaoui: On m'a sollicité pour modérer cette rencontre. Je suis venu ce matin parce que ça m'intéresse. J'enseigne d'ailleurs un module de scénario à l'université à laquelle j'ai toujours appartenu, celle des sciences politiques et de l'information. En magister, nous avons quelque chose sur le scénario. J'ai mon point de vue qui est parfois un peu différent. Une vision ouverte sur différents systèmes. Le scénario est traité ici d'une manière différente qu'ailleurs. Les Etats-Unis sont le plus grand pourvoyeur d'images de fiction du monde. Il y a maintenant, peut-être, la France qui pourrait les concurrencer mais à un degré beaucoup plus bas. Ce que je vois d'intéressant ici dans cette journée, c'est que pour la première fois on pose la question et le problème en plein sur, non pas le scénario, mais l'absence de scénario, non pas de scénariste mais d'absence de scénariste. Cela veut dire que depuis l'Indépendance, il y a une vision un peu mythique du cinéma algérien. Peut-être est-ce mieux. Il faut bien que le passé soit un peu enjolivé. Moi je l'ai vécu ce passé, je n'enjolive pas du tout. Je pense que la plupart des cinéastes étaient des self made men, qui ne savaient pas écrire. Nous avions un problème qui s'est aggravé. Parce que nous n'avions pas de scénarios mais nous n'avons rien fait pour avoir des scénaristes. Un scénariste, ça vit de scénario. Sinon, il vit d'autre chose. Il ne peut pas vivre de ce métier. Quels sont les gens qui ont fait appel à des scénaristes? La plupart s'est autoproclamée scénariste, producteur...Parce qu'il n'y avait pas de producteurs non plus. Il n'y a qu'ici où le réalisateur est devenu scénariste, producteur. Il n'y avait pas les moyens la plupart du temps. Le seul qui a le mieux réussi dans ces années-là, c'était Lakhdar Hamina qui a fait appel à des scénaristes, comme Rachid Boudjedra par exemple, Farès... Rachid Boudjedra a écrit quelques scénarios et c'est un écrivain et un vrai scénariste. On voit bien le résultat dans les films de Lakhdar Hamina. Ils sont structurés. Aujourd'hui, on ne peut pas en vouloir aux réalisateurs qui vous disent, «Il n'y a pas de scénaristes!» Mais d'un autre côté, s'ils avaient eu envie de faire appel aux scénaristes, aux écrivains, aux gens, aux journalistes qui parfois savent raconter de belles histoires, on n'en serait pas là. La force du journalisme anglo-saxon, par rapport à nous, est indéniable. Nous, on nous demande quel est votre message? et les Américains, on leur demande quelle est votre histoire? Et Si on avait demandé à des gens qui auraient pu montrer des capacités? Le problème est qu'on a eu affaire à des gens qui, non seulement n'avaient pas de background culturel important, ni linguistique. La preuve, le dialogue des films. Je dis toujours par boutade, le meilleur dialogue des années 1970 et 1976, c'était dans le Charbonnier car il n'y en avait pas! Les gens parlaient avec les yeux. L'incommunicabilité des Algériens, et leur difficulté à s'exprimer sont illustrées à travers ce langage. Je pense aujourd'hui qu'on est en train de construire quelque chose. Plutôt les jeunes....Moi je n'enjolive pas le passé. J'ai un regard assez sévère. Parce que nous n'avons pas développé le cinéma en amont, c'est-à-dire avant le réalisateur et nous n'avons pas développé après, c'est-à-dire le studio, les laboratoires... Cette ancienne génération a tout fait pour que les laboratoires n'existent pas, pour qu'il n'y ait pas de studios de tournage, que tout se fasse à l'étranger. Résultat des courses, tous nos films sont faits dans des laboratoires à l'étranger. Nous n'avons pas eu un cinéma, nous avons eu des films dont quelques-uns étaient bons. Aujourd'hui, quand on compare les dialogues, je cite le film Mascarades ou d'autres comme La Maison jaune ou bien Roma wela n'touma, on se rend compte que c'est un cinéma qui se construit. Il est près des gens, il parle la langue qu'il faut. Comme disait Fitzgerald à propos de la langue, le mot devient une action. Cela n'existe pas un dictionnaire de langue pour le cinéma. Un chat, ça miaule et un chien, ça aboie. Justement, vous étiez récemment invité au Festival international du film amazigh. Quelle est votre appréciation? C'est important qu'il y ait ce genre de festival. Parce qu'on ne peut oublier que le cinéma est une exultation. C'est une fête permanente. C'est l'amour de la vie, c'est une représentation, par conséquent, si les gens du cinéma ont besoin d'être en représentation permanente, c'est quelque chose de naturelle. Parce que ça attire les paillettes etc., je trouve cela un peu désuet. Je n'ai jamais vraiment traîné dans les festivals internationaux. je préfère faire produire un film et le suivre. Au festival amazigh, il y avait de très jolis documentaires, de bons films d'animation qui dénotent de beaucoup d'efforts. Très peu de films long métrage. Il y a eu des films qui ne sont pas arrivés. Je ne sais pas à qui la faute. Comme le film Mostefa Benboulaïd, qui n'est jamais arrivé. La section long métrage a été un peu amputée. Le jury a décidé de ne pas donner de prix dans cette catégorie car tout simplement il n'y avait pas de films. Il faut donc travailler. Il est important que les différentes dimensions de notre personne cohabitent. Je l'ai dit dans le discours à Sidi Bel Abbès. Je ne comprends pas pourquoi on doit être ceci aux dépens de cela. Pourquoi on n'est pas ceci plus cela. Nous sommes des Amazighs, des Arabes. Nous avons une culture arabe, nous sommes des musulmans. Nous sommes des Méditerranéens, aussi des Africains. Quand on voit le raï, ce sont nos racines africaines qui bougent. C'est une richesse fantastique. Donc, je trouve que ce festival répond à une demande. L'idée la plus belle est qu'il soit itinérant. Qu'il soit dans un ghetto par exemple tout le temps à Tizi Ouzou, ça convainc qui? Par contre, qu'il aille à Tlemcen où à Tamanrasset, ça, c'est très bien. A Sidi Bel Abbès, j'ai mesuré la grande adhésion du public. Les gens étaient très sympathiques, gentils, adorables. Il n'y a pas eu un mot de travers. J'ai noté un formidable accueil de la ville et de ses autorités. C'est un point très important. Peut-on connaître le motif de votre réunion les 11 et 12 janvier derniers avec les gens du 7e art? Les 11 et 12 janvier derniers, nous nous sommes réunis avec les gens qui étaient dans l'atelier formation, pendant les Journées cinématographiques algéro- françaises. C'était algéro-algérien à ce moment-là. Nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire pour mettre en valeur ces accords. Autrement dit, comment les utiliser du mieux possible. Il y avait des Algériens de l'étranger comme Meriem Hamidet, scénariste de la série Plus belle la vie etc. On s'est réuni avec les gens du ministère de la Culture, des gens de l'Ismas, pour évaluer les capacités. Il est clair que les besoins de formation maintenant que le cinéma bouge, sont évidentes. Parce que le cinéma bouge, les besoins apparaissent. On sait qu'il nous manque des scénaristes, des preneurs de son, des monteurs vidéo. Les accords de coproduction et de coopération prévoient une réunion tous les deux ans pour faire le point. Pendant les assises, il a été demandé, au moins au début de ces deux années, à ce que le rythme soit plus élevé afin de bien lancer ces accords et de corriger le tir au fur et à mesure. Car il n'y a pas que la coproduction dedans, il y a la coopération audiovisuelle, la formation, les archives, la distribution de films et la rénovation de circuits, de salles. Nous espérons provoquer une réunion d'ici l'été. Lors de la signature de ces accords, je crois savoir que vous avez fait référence à des coproductions Sud/Sud. Des initiatives qui devraient s'inscrire dans le cadre du Festival panafricain qui se tient cette année à Alger, au mois de juillet, est-ce exact? Moi, je m'associe à la partie cinéma dans le cadre de cet événement panafricain. Il y aura effectivement un certain nombre d'activités liées bien évidemment à l'Afrique. D'abord, il va y avoir la signature emblématique de l'Accord de coproduction et de coopération culturelle avec l'Afrique du Sud dans les prochaines semaines. Il est prêt, il a été discuté. Ça passe par les Affaires étrangères. Nous sommes au stade final de cet accord. L'Algérie a envie de susciter une coopération Sud/Sud interafricaine dans ce domaine-là. Dans ce sens, le Comité national va soutenir financièrement des projets de coproduction entre l'Algérie et les pays africains. Que cela vienne de là-bas ou de l'Algérie, il y aura forcément un coproducteur algérien. Il y aura aussi des documentaires sur les mouvements de libération, car durant le premier Panaf, beaucoup de ces pays africains n'étaient pas encore libres. Des documentaires comme celui de Lamine Merbah qui évoquera l'apport de l'Algérie à l'indépendance africaine et celui de Soulimane Ramadane de l'Afrique du Sud. Il y aura aussi un colloque sur le cinéma. Il y a l'idée de lancer des projets de films courts de 5 à 10 minutes mais faits par les plus grands cinéastes d'Afrique, d'une dizaine de pays. Il y a de grands noms qui ont répondu présent. Je peut citer Idrissa Ouédraogo, Abderrahmane Sissako, Teddy Matera, Nouri Bouzid etc. C'est la crème. C'est important, je crois, que les gens comprennent l'importance de ce genre d'événement, regardez le Fespaco... On y arrive, je voulais vous en parler, quel sera l'apport de l'Algérie à ce festival qui fête cette année ses 40 ans de création? Y participera-t-elle? Bien sûr qu'elle va y prendre part. Pendant le Festival panafricain dans une des manifestations, nous rendons hommage à Carthage et au Fespaco, les deux importants festivals africains au monde. Nous allons présenter tous les Grands Prix de ces dernières années. Nous allons partir au Fespaco. Maintenant, ils sont libres de choisir les films algériens qu'ils auront à sélectionner. Nous avons proposé d'envoyer un certain nombre de films en rétrospective et d'autres nouveaux. Nous serons présents au Fespaco. Je parle notamment du staff du ministère de la Culture et celui du Festival culturel panafricain.