Conscient du débat qui fait rage en France, le chef de la diplomatie, Bernard Kouchner, a fait savoir que Paris est prêt à accueillir les détenus de Guantanamo, mais qu'il les traitera «au cas par cas». A peine la France a-t-elle envisagé d'accueillir sur son territoire les détenus de la prison de Guantanamo après sa fermeture que les questions d'ordre politique et juridique commencent à être soulevées. En effet, le débat autour du statut à attribuer aux futurs ex-détenus de Guantanamo, qui ne fait que commencer, divise déjà les spécialistes. Et pour cause, selon les ONG, «le camp de la honte» compte actuellement quelque 245 prisonniers d'origines yéménite, afghane, saoudienne, algérienne, tunisienne et chinoise. Sur ces 245, seule une soixantaine serait libérable, mais ne pourrait pas entrer dans les pays d'origine en raison du risque de persécution. Que faire de ces détenus et quel sera leur statut en France? Pour l'avocat et président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'homme, Patrick Baudouin, la venue de détenus en France s'inscrirait essentiellement dans le cadre d'une «décision politique». Ce dernier compare alors, cette décision, à celle prise à l'égard de l'ex-guérillero des Farc, qui a été accueilli en France en décembre dernier. Selon lui, «on est dans un cas de figure très similaire à ce qui s'est produit avec l'ex-guérillero des Farc», le Colombien Wilson Bueno, alias «Isaza», qui avait déserté la guérilla et libéré un de ses otages. Ce dernier a été accueilli en France dans le cadre d'un accord avec Bogota, bénéficiant d'un visa long séjour et d'une décision régalienne, hors des voies usuelles pour être admis sur le territoire français. L'autre solution envisageable pour la France serait d'accorder l'asile politique aux anciens prisonniers de Guantanamo. C'est du moins, ce que plaide Anne Le Tallec, avocate spécialisée en droit d'asile. Cette dernière travaille avec les ONG sur les cas de détenus de Guantanamo dont celui de l'Algérien Nabil Hadj Arab, détenu depuis 2002 et «libérable» selon les autorités américaines. Le commissaire européen à la Justice, Jacques Barrot, a indiqué quant à lui, que la décision d'accorder l'asile politique à un détenu dans un pays de l'Union européenne concerne «indirectement tous les Etats de l'UE puisqu'il pourra à terme circuler librement dans toute l'Union». «L'accueil de détenus ne peut pas s'improviser. Notre bonne volonté ne peut pas s'exprimer à l'aveuglette», a-t-il déclaré à l'Agence France Presse, avant d'ajouter que «la même opinion européenne qui a réagi contre les détentions injustifiées, réagirait aussi contre la remise en liberté d'individus dangereux pour la sécurité publique». Conscient du débat qui fait rage en France, le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, a récemment fait savoir que Paris est prêt à accueillir les détenus de la prison américaine, mais qu'il les traitera «au cas par cas». L'accueil se ferait après évaluation des risques sécuritaires et des implications judiciaires, a d'ailleurs précisé le ministère français des Affaires étrangères. «Il s'agit de séparer le bon grain de l'ivraie, entre ceux qui ne présentent pas de dangerosité et ceux pour lesquels il subsiste des doutes sérieux», analyse de son côté M.Baudouin. Par ailleurs, la France n'est pas la seule à être affectée par cet «examen de conscience», puisque l'Allemagne est également secouée par une vive polémique autour de l'avenir de ces prisonniers, y compris au sein du gouvernement Merkel, alors que d'autres pays de l'UE ont, au contraire, simplement exclu une telle hypothèse, à l'instar de la Suède, du Danemark et des Pays-Bas.