L'absurde est d'une grande compétence: il ne tolère pas la vérité; il l'exige pour s'en servir contre les autres, sans foi ni loi. «Touchez pas à nos écrivains! Touchez pas non plus à nos éditeurs!» Evidemment, l'information qui circule à propos d'un litige entre un écrivain et un éditeur, tous les deux algériens, concrétisé par une altercation physique violente ne laisse personne indifférent, elle navre autant qu'elle scandalise tous les lecteurs de ces deux acteurs d'une déplorable et hallucinante histoire. L'absurde a encore trouvé là un champ où il aurait souvent régné. Que nous dirons-nous, entre gens d'esprit, si ce n'est que les philosophes de l'absurde ont failli dans la mesure où ils ont érigé un système qui ni ne console ni ne réjouit. Dans la malheureuse affaire qui nous affecte, il n'est pas le moment de se demander qui a tort qui a raison. Il faut se demander pourquoi une telle chose arrive dans un contexte de relation humaine fortement cultivée. Rien ne presse à l'accusation ou à la condamnation, car toutes les deux trouveront certainement justice et réparation, et pour la victime et pour le présumé coupable, dans la seule enceinte de nos structures compétentes. L'essentiel est que le respect de la personne humaine soit sauf dans toute transaction pour laquelle s'engagent librement les contractants. Si la loi universelle de la nature prouve, chaque jour, combien le caractère de l'individu est d'une consternante inconstance, soyons bienheureux qu'il y ait «des papiers signés» qui lèvent le doute et un esprit de justice pour les autres et pour soi. Ah! que j'aimerais rappeler à tous une belle règle de charité de nos sages anciens s'adressant par parabole aux plaideurs de leur chère et honorable tribu: «Toi tu diminues ta dose de beurre (d'hân), et toi, tu ajoutes une dose de ton miel: la réconciliation fera de vous des seigneurs.» Pardon à ma jeune consoeur du quotidien Horizons Farida Belkhiri de l'avoir fait attendre avant de lui dire que sa Fleur bleue (*) m'attire comme un insecte humain qui, lui seul, sait délicatement s'approcher d'une jolie fleur et la sentir. Ici l'absurde a totalement capitulé pour aller courir ailleurs dans les champs livrés aux chardons et aux orties. Avec Fleur bleue, Farida Belkhiri propose un conte fantastique aussi bien à la jeunesse qu'aux grands adultes. «Il était une fois une jolie fleur bleue qui rêvait de se transformer en une statue de glace.» Oh! la petite espiègle qui «refusait de connaî-tre le même sort que ses soeurs, les autres fleurs»! Mais qu'à cela ne tienne, si elle vit pourtant sur une magnifique planète que l'on appelle «Soleil»! Apprenant la mort de sa soeur Rose, et toute pleine de tristesse, elle demande à Mère Soleil, la reine Rose d'Or, la permission de se «rendre sur la planète Terre et de finir ses jours là-bas». Le motif qui suscite ses craintes, est de perdre sa beauté et mourir «fanée» à son tour comme sa soeur. Elle prétend qu'en se transformant en statue de glace, elle serait immortelle. Devant l'obstination de la jeune fleur bleue, Mère Soleil - bien que contrariée, mais pleine de bonté - n'ose refuser de la satisfaire; elle mande Feu-de-Vent, une de ses étoiles filantes, et lui commande d'obéir à la jeune habitante. Feu-de-Vent conduit Fleur bleue vers «l'une des plus belles régions neigeuses de la planète Terre»... Le conte se développe en une aventure qui, l'imagination fertile de l'auteur aidant, se déroule dans un pays de nulle part. La jeune fleur bleue est confrontée à une série d'épreuves qu'elle aura à surmonter. La vraie vie commence pour elle, dès son arrivée sur Terre: «Et c'est là qu'elle aperçut une splendide statuette de glace nichée au creux d'une colline.» Cette statuette de glace représente une jeune fille qui, on dirait «qu'elle pleure!» Fleur bleue poursuit sa marche vers une vie nouvelle où l'irréel pose de vrais problèmes de la vie tout court sur cette Terre, rappelant étrangement la nôtre, mais qui invraisemblablement n'est pas la nôtre. Voire. Les séquences se succèdent à un rythme mesuré, entretenant l'intérêt du conte et posant les jalons d'une inévitable et indispensable morale qui reste sous-jacente comme dans toutes les oeuvres littéraires éducatives. La présence de l'auteur y est très ou trop sensible; elle raconte «son rêve», décrit «ses personnages», exprime et explique les raisons de ses choix à travers chaque péripétie de sa passionnante histoire, - du moins du songe qui lui facilite la difficile tache d'écrire pour éduquer et instruire, et de transférer les valeurs morales et esthétiques à la jeunesse qui semble, hélas, actuellement vieillir avant nous. En fait c'est là le problème qui me tourmente depuis que je présente Le Temps de lire... au journal L'Expression, et sans doute bien avant, bien avant, autant que ma mémoire d'aujourd'hui me ramène à ma jeunesse. C'est pourquoi ma conviction est que pour instruire la jeunesse, l'écrivain comme l'instituteur, doit s'instruire aux sources, sans pour autant ignorer que la pédagogie n'est pas totalement dénuée d'arrogance! Il faut que le livre enseigne par l'exemple. Il faut que le livre éclaire le présent, et ce livre, comme le conte, est difficile à écrire, car il charge d'une grande responsabilité l'auteur...Et c'est ce que Farida Belkhiri essaie soigneusement de faire, je crois, avec son beau conte Fleur bleue que des illustrations fines, suggestives et illuminées d'une juste couleur bleue d'Imène Mebarki, s'allient correctement à la pensée de l'enfant, - j'y vois de la tempérance et de la pureté. (*) Fleur bleue de Farida Belkhiri, Editions Alpha, Alger, 2009, 77 pages.