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Lire, un plaisir supérieur
LA PETITE BIBLIOTHÈQUE DE L'ETE 2010 (I)
Publié dans L'Expression le 07 - 07 - 2010

Découvrir le plaisir de lire, c'est chose à la portée de tous.
J'entends dire, comme vous, «Aujourd'hui, on ne sait plus lire» ou encore «Aujourd'hui, personne ne lit plus» et d'autres, reprenant une citation d'Henry Bordeaux, avec une pointe d'humour: «... Sauf ceux qui écrivent.»
Evidemment, il faut d'abord aimer lire et, sans aucun doute, accepter auparavant de se donner un peu de peine. Il n'y a pas de lecture facile, si cela est, ce n'est pas de la lecture. La lecture élève mieux un homme que toute autre activité, estiment les pédagogues. Ils disent aussi, comme le philosophe et essayiste français Alain que «l'homme se forme par la peine; ses vrais plaisirs, il doit les gagner, il doit les mériter. Il doit donner avant de recevoir. C'est la loi.» Arrêtons-nous en ce point; nous le développerons tout au long de nos rendez-vous à «La Petite bibliothèque de l'été 2010» qui propose à la lecture quelques-uns des 48 ouvrages présentés chaque mercredi dans notre rubrique Le Temps de lire, 2009-2010.
CLASSES DES SAVANTS DE L'IFRÎQÎYA (traduction) par Mohammed Ben Cheneb, OPU, Alger, 2009, 416 pages. L'ouvrage, de ce «travailleur de l'esprit», publié aujourd'hui, est la réédition scannée de la traduction de l'arabe vers le français (1920) avec des annotations de ce chercheur, qui avait, en 1915, publié en arabe, ce travail, sous le même titre, soit Tabaqât ‘ulamâ' Ifrîqîya. Espérons, avec Djafar Ben Cheneb, son fils, à qui nous devons l'initiative de la réédition des oeuvres de son père, et reprenant les termes de l'éminent chercheur français Georges Marçais (1876-1962), bien connu des grands professeurs des Universités d'Algérie, que: «Le livre si excellemment traduit et annoté par M.Ben Cheneb inaugure cette série de publications de la manière la plus honorable.»
De quoi s'agit-il?
Indiquons d'abord que sous ce titre Tabaqât ‘ulama' Ifrîqiya, traduit Classes des savants de l'Ifriqiya, Mohammed Ben Cheneb édite le livre d'Aboû L-‘Arab (Kairouan de la 1re moitié du xe s.) qui a été continué par El Khachanî (Kairouan, mort en Espagne vers la fin du xie s.), le premier étant l'un des plus anciens monuments de la littérature des fameuses «classes» ou «tabaqât».
Ces deux manuscrits sont évidemment très anciens du fait qu'ils établissent les biographies des plus célèbres savants ayant vécu à Kairouan et à Tunis depuis l'établissement des musulmans jusqu'à la première moitié du ive s. de l'Hégire. Ils ont été traités minutieusement par Ben Cheneb qui a tout particulièrement étudié les manuscrits en les annotant, en les commentant, en rectifiant certaines informations inexactes, en signalant et en complétant les lacunes dans les textes et en ajoutant de nombreux index spécifiques, ce qui incite le lecteur chercheur à satisfaire son besoin d'en savoir davantage sur un milieu riche en événements historiques divers: politique, social, culturel, économique, religieux,... C'est une suite de vies, de tableaux, de scènes où les faits et gestes des personnages savants, princes, cadis, dévots, ascètes, paysans, citadins, petit peuple, peuple tout court, sont ceux d'un monde vrai, autrement dit là où l'on sait que «les vrais héros des tabaqât sont naturellement les savants.» Voilà tout un passé qui, encore par bien des aspects sociologiques et ethnologiques - une certaine mentalité, par exemple, qui est d'actualité chez nous -, pourrait éclairer le monde musulman d'aujourd'hui.
En attendant la réalisation de la «fondation Mohammed Ben Cheneb» qui tarde inexplicablement, le Maître Mohammed Ben Cheneb reste, incontestablement et infiniment un modèle algérien d'homme de science et de conscience pour nos intellectuels et spécialement pour la jeunesse studieuse de notre pays.
LA CHAMBRE DE LA VIERGE IMPURE d'Amin Zaoui, Barzakh Editions, Alger, 2009, 173 pages. Quand la douleur n'a plus d'effet sur nous et que nous avons la conviction de posséder la vérité, plus rien n'a de sens... Mais pour qui? Voilà un aphorisme personnel complexe et puissant inspiré de la nirvâna bouddhiste et qui parcourt comme un sillon de feu brûlant les treize chapitres constituant le nouveau roman d'Amin Zaoui; et ce roman porte ce titre détonnant pour le commun, mais non provocateur pour le lecteur de la bonne littérature. Les habitués des thèmes, du style, des frémissements de la pensée d'Amin Zaoui, doivent savoir que cette oeuvre dépasse triomphalement la fiction doucement dérangeante du Festin de mensonges, paru en 2007.
Amin Zaoui a peut-être essayé seulement de poser le problème «politico-social», non pas religieux, de la virginité en l'exposant dans la fable qu'il a inventée et intitulée La chambre de la vierge impure qui n'est autre que le refuge de la vierge pudique lorsqu'elle a ses menstrues. Les ingrédients utilisés, dans le récit, sont nombreux et présentés, si j'ose dire, clairement par le narrateur dont la personnalité psychonévrotique ne fait pas de doute, ou, à tout le moins, dont le psychisme est sous l'influence de psychotropes en permanence. Là où le droit ouvre le droit; la liberté permet tout. Le désir, l'avidité, le réel, la possession chassent le mystère, l'inconstant, l'interdit. L'amour s'ensauvage, devient vice. Mais pourquoi ne serait-ce pas, en ce point précis, la vérité ultime où commence l'évolution libidinale dans la tête d'un adolescent sur lequel «la passion» avait pris comme un incendie ravageur d'âme «tombé du ciel»?


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