Il n'y a pas de doute là-dessus. Mais le doute demeure présent quant à ce qu'on doit lire ou ne pas lire. Lis un livre, tu seras heureux pour la vie. Ou malheureux pour la vie. L'un et l'autre sont là des livres qui marquent. Un libraire parle de marchandises et de combien de «pièces» (de habba, comprendre d'exemplaires), il a pu écouler. Voltaire l'exprimait déjà de belle façon dans Le Temple du goût (édit. 1733), quand il écrivait: «Et cependant un fripon de libraire, - Des beaux esprits écumeur mercenaire, - Vendeur adroit de sottise et de vent, En souriant d'une mine matoise, Lui mesurait des livres à la toise, Car Monseigneur est surtout fort savant.» Ce commerçant en livres fait commerce de son ignorance et de son mauvais goût. Tous les livres qu'il entasse autour de lui, il les croit bonne garniture; il n'a même pas l'idée de son triste sort: l'esprit du mauvais légume pousse en lui. Cette marchandise étrange, se pourrait-il qu'elle libère l'esprit? Peu importe. Lui vend «des livres qui se vendent», car il y a longtemps qu'il a appris qu'il y a des lecteurs qui achètent «des livres qui s'achètent»...On assiste à cette incroyable chose: si lire libère l'esprit, vendre les livres souvent «démoralise le livre». Enfin, voilà un fait qui peut-être expliquerait pourquoi certains enseignants, qui passent pour instruits, n'aiment pas lire et n'encouragent pas leurs élèves à lire... JEAN-EL MOUHOUB, JOURNAL 1928-1962 par Tassadit Yacine, Editions Alpha, Alger, 2009, 477 pages. Ici, le Jugurtha sans masque. La résurrection est toujours un cheminement à tâtons et beaucoup de recherches, car le temps n'appartient pas à l'homme ni à Jugurtha. L'auteur précise davantage l'intérêt primordial qu'elle porte au développement de la culture algérienne dans son ensemble et combien, ainsi qu'elle l'a déclaré ailleurs, elle a le «désir de comprendre les soubassements anthropologiques de l'identité et de la culture algériennes au sein de laquelle la culture berbère est déterminante.» Toute cette conception, cette vision d'un Monde algérien libre et indépendant, recouvrant son «identité essentielle» me semble transparaître dans le Journal de Jean Amrouche, ce journal, jusque-là inédit dans son intégralité. La grande idée politique, culturelle, sociale de l'éminent intellectuel algérien que fut Jean-El Mouhoub Amrouche - encore qu'il ait été «d'un naturel pudique» - est qu'«à force de nier l'homme on le divise. On a bouché la bouche du oui au non et du non au oui». Le propos se rapporte à l'une de ses très nombreuses rencontres avec les grands monstres bien inoffensifs de la littérature française (Gide, son maître et son ami, Mauriac, Claudel, Giono, Bosco, Camus, Roblès, Roy, Memmi,...mais il reste étonnant que, me semble-t-il, dans ses Mémoires intérieures François Mauriac ne l'ait pas évoqué). C'est que, malgré les hautes études qu'il a faites, le service militaire qu'il a effectué, les relations splendides d'amitié et de travail, sa formation et son expérience professionnelles en France, il y a une grande souffrance silencieuse mais constamment présente chez Jean Amrouche à l'époque de l'Algérie aux trois départements français. Aussi ai-je retenu cette remarque très juste de Tassadit Yacine: «Si Jean Amrouche écrit en français, il sait qu'il n'est pas français et que, dans la situation qui est la sienne (un colonisé), il ne peut s'adresser ni aux Français ni aux Algériens, les deux ‘‘peuples´´ le rejetant pour des raisons différentes...» MEMOIRES D'OUTRE-TOMBE (Tome III) La Résurrection de Mahrez Afroun, Houma Editions, Alger, 2009, 314 pages. Réapproprier notre histoire...Ce livre fourmille d'informations très instructives, certaines inédites. Un ton sûr et surtout une généreuse pédagogie animent le sujet de cette étape ultime et victorieuse de notre histoire populaire contre l'armée coloniale française. Ce qui donne à ce récit atroce toute son importance, c'est la clarté de son exposé; c'est la précision des recherches dans ce domaine difficile, c'est enfin la sincérité ou, si l'on veut, l'honnêteté dans le propos et l'analyse des faits. L'auteur, qui ne se dit «ni historien ni écrivain», n'a de cesse d'apporter la preuve de ce qu'il affirme, notamment de ce qu'il a recueilli. Les faits sont là, selon lui, figurés et pointés. Presque à toutes les questions que le lecteur pourrait se poser, il y a une réponse; aussi puis-je dire que devant une telle masse de détails sur toute chose historique et tant d'efforts passionnés et de persévérance têtue, Mahrez Afroun, a dû nager à contre courant pour remonter à la source. L'AMANTE de Rachid Mokhtari, Chihab-Editions, Alger, 2009, 210 pages. Tisser des rêves...Lorsqu'on croit que la maison à étage est un paradis, tout comme un burnous tissé de fils de laine est un gage d'amour, aucune femme autre que Zaïna ne symbolise l'amante. Cet amour n'est pas soudain, n'est pas un coup de foudre. C'est tout simple, sa sève littéraire part des profondes racines de notre terre l'Algérie. Et j'avoue ici que tout ce qui est fort de nos origines et qui les raconte avec les fibres du coeur, c'est-à-dire en Algérien, jaloux de sa terre maternelle, quand elle est belle, quand elle est triste, quand elle pleure, quand elle rit, quand elle peine, quand elle est épanouie, je suis atteint au plus profond de moi-même par un immense bonheur, et je me sens invraisemblablement capable de faire un pied de nez à la «gendelettrerie», comme, en d'autres temps, disait Mauriac, lui parlant de l'Académie Goncourt «qui se recrute principalement - chose incroyable! - parmi les gens de lettres», moi parlant d'une coterie formée dans l'ombre et qui se recrute principalement parmi les «beaux esprits» que l'on présente sans souci dans le magazine, la radio et la télévision. - Oui certes, je pourrais me tromper là-dessus, néanmoins j'observe aussi que beaucoup sont de beaux esprits sans qu'ils obéissent à un ordre, le moins du monde.