Les employeurs, notamment les boîtes privées, rejettent des demandes d'emploi car leurs postulants, sortant des universités, n'ont pas la compétence technique et linguistique du poste. “L'université forme des candidats au chômage.” Une phrase qui revient souvent dans les propos des étudiants non satisfaits de la qualité de leurs études. “Nous avons eu une formation plutôt théorique que pratique. Certes, nous avons acquis des connaissances, mais nous ne sommes pas opérationnels après l'obtention du diplôme. C'est pour cela que nous sommes de bons candidats au chômage”, déclare Amina, fraîchement diplômée en sciences économiques. Des jeunes diplômés “non opérationnels”, c'est la réponse que nous avons eue de plusieurs employeurs à la question de savoir pourquoi ils exigent l'expérience pour le recrutement. Ils estiment que ces jeunes ont besoin d'une formation spécifique alors que leurs études ont été beaucoup plus générales et théoriques. Au-delà de cet aspect, les employeurs reprochent aux jeunes diplômés la baisse de niveau, notamment dans la maîtrise des sciences et des langues, l'arabe ou le français. “Nous voulons recruter des personnes opérationnelles dès le premier jour avec une petite période d'adaptation et non un personnel à former. Malheureusement, cela est plutôt rare”, déclare un responsable des ressources humaines au niveau d'une entreprise nationale. Il explique que cette entreprise procède au recrutement des jeunes diplômés, qu'elle forme sur le tas ou qu'elle envoie en formation. “Lorsqu'il s'agit du personnel technique, les nouveaux recrutés sont dirigés automatiquement vers notre centre de formation. Pour ce qui est du personnel journalistique, nous leur faisons des stages de rédaction et de diction”, précise-t-il. En ce qui concerne les recrutements du personnel, notre interlocuteur indique que l'entreprise est plus exigeante pour les technico-commerciaux. “Nous avons reçu des demandes d'emploi avec des fautes à chaque ligne et je ne parle pas de faute d'orthographe. Nous sommes exigeants avec ce type de personnel. Ils doivent maîtriser la langue. La majorité communique très mal, que ce soit en arabe ou en français”, commente-t-il. Pour ce qui est des journalistes francophones, le responsable nous avoue que c'est désormais “une denrée rare”, d'où, selon lui, le recours au débauchage. Même constat pour Samir Moudja, gérant de l'agence de production audiovisuelle, Igma. Problèmes de syntaxe, de grammaire, faute d'orthographe, mauvaise diction…, le constat fait par les employeurs rencontrés est parfois affligeant : e-mails regorgeants de fautes, rapports pleins d'imperfections. Au banc des accusés, il y a certes l'éducation nationale et l'enseignement supérieur, avec la très controversée méthode générale d'enseignement, mais aussi les nouveaux modes de communication, les courriers électroniques que l'on envoie rapidement, les SMS... M. Haddad, directeur d'un cabinet de traduction et interprétariat, constate qu'il existe “une baisse flagrante du niveau des candidats qui ont pourtant bac + 4, voire 5”. Et pas seulement des candidats en quête d'un premier emploi. “J'ai reçu la candidature d'une jeune femme diplômée de l'Institut de langue étrangère avec une expérience de deux ans dans une école privée de langue, impeccable sans aucune faute, je l'ai prise à l'essai durant trois mois. À la fin de son stage, j'ai remarqué que la jeune fille avait des gros problèmes de diction et d'interprétation simultanée, alors qu'à l'écrit, elle n'était pas mauvaise. J'ai dû la recruter en lui offrant des séjours linguistiques une à trois fois par an, car je n'avais pas le choix”, témoigne-t-il. Il explique, par ailleurs, que ce n'était pas le cas d'une autre candidate, qui est restée 6 mois à l'essai mais son stage a été non-concluant pour cause de lacunes à l'écrit. Le sujet quasiment tabou Parler de ses lacunes en milieu professionnel est un sujet délicat, voire même tabou. Rares sont les employés qui les assument et se prennent en charge. À cause d'une remarque acerbe ou d'un sourire narquois intercepté lors d'une réunion, la faute peut être pointée par un chef tyrannique ou des rivaux ambitieux, jusqu'à provoquer un malaise, voire un état de blocage chez le fautif. “Je ne comprends pas pourquoi on ricane lorsque j'expose nos sujets en réunion de rédaction. J'avoue que je fais des erreurs, mais je me suis inscrite à un cours de perfectionnement de langue française”, déclare Amel, journaliste stagiaire dans un quotidien francophone. Elle justifie ses problèmes de langue en déclarant : “Ce n'est pas de ma faute si la formation de journalisme est en langue arabe ! ” Son encadreur estime que la jeune fille a des bons réflexes qui feront d'elle une bonne journaliste. “Elle a une bonne culture générale, elle est curieuse et arrive à obtenir de la bonne information. Sur le plan rédactionnel, il lui reste des efforts à faire”, estime-t-il. Avec les encouragements de son encadreur, la jeune fille a décidé de quitter la rédaction à la fin de son stage pour chercher du travail dans un autre secteur. “Je ne peux évoluer dans un milieu hostile où les fautes d'orthographe et de grammaire sont des armes qu'on utilise contre moi”, a-t-elle décidé. Reste qu'une mauvaise orthographe ou grammaire peut constituer un handicap dans une carrière. Certes, on ne licencie pas pour cause de fautes de français ou de langue arabe, mais un salarié peut être déstabilisé si l'on pointe ses erreurs de façon récurrente. N. A.