L'écrivain Waciny Laâredj incarne l'une des figures les plus prolifiques de la littérature algérienne d'aujourd'hui. Le jury du Sila lui a attribué, jeudi dernier, le prix du meilleur roman arabophone pour sa dernière publication, Crématorium. Dans ce rapide entretien, Waciny Laâredj explique sa démarche littéraire, la conception de son roman et revient sur son bilinguisme dont il dit qu'il lui a “sauvé la vie”. Liberté : Un mot sur le prix du meilleur roman arabophone du Sila 2008 que vous avez reçu et dédié à la Palestine ? Waciny Laâredj : Vous savez, un prix, ce n'est pas une finalité mais, c'est toujours quelque chose de bon. Je suis, bien évidemment, très très content que ce livre soit primé, d'autant plus qu'il n'y a même pas un mois qu'il vient de paraître chez l'éditeur Baghdadi, en coédition avec la maison libanaise Dar el Adab. Ce prix encourage les éditeurs à fournir plus d'efforts, et puis ça encourage les lecteurs à aller vers le livre. Le prix a été remis à mon épouse, Zineb Laouedj, par le président de l'Union des écrivains palestiniens et elle a eu le bon réflexe de le dédier à la Palestine parce qu'elle connaît mes positions sur le sujet. L'argent qui accompagne le prix, nous avons décidé d'en faire don et de le remettre dans son intégralité à l'hôpital de Ramallah pour les enfants cancéreux. C'est une démarche d'autant plus symbolique, car mon écriture est liée à la générosité et à la fragilité, et c'est l'enfant qui incarne tout cela. Si vous deviez présenter ou parler de votre roman Crématorium, que diriez-vous ? D'abord, c'est un roman qui traite un petit peu de la Palestine. C'est l'histoire d'une artiste peintre qui quitte sa terre palestinienne natale en 1948 à l'âge de 8 ans. Elle s'installe aux Etats-Unis et devient célèbre. Les années passent, elle tombe gravement malade et souhaite être enterrée à Jérusalem, sur la terre de ses origines, mais les autorités israéliennes lui refusent cette requête, ce dernier souhait. Elle demande donc à son fils de l'incinérer et de disperser les cendres sur les lieux de son enfance. C'est, en fait, une élégie pour la Palestine. La question philosophique et primordiale du roman est de tenter de savoir si on peut retourner sur une terre lorsque cette terre change et qu'on n'habite plus l'enfance. Ma réponse est non et je le démontre à travers le roman. Crématorium est un hymne à tous les déracinés. D'ailleurs, en sous-titre, j'ai mis Sonate pour les fantômes de Jérusalem. En plus, c'est fascinant ce qui se passe en Palestine où la victime de l'holocauste est devenue bourreau. La violence, en fait, engendre la violence et on a grand besoin dans ce monde d'un livre de la paix. Vous êtes aussi bien arabophone que francophone. Qu'apporte chacune des deux cultures à votre travail littéraire ? La langue française est très importante pour moi et son apport a été très conséquent. En fait, la langue maternelle, c'est un besoin vital et une force d'enracinement. La deuxième langue (pour moi, c'est le français) permet d'aller au-delà des racines et d'accéder à la modernité. Le français m'a permis de m'ouvrir sur un monde nouveau et, quelque part, c'est une langue qui m'a sauvé la vie. J'ai vécu beaucoup de situations qui l'attestent. Par exemple, Sayidet el Maqam (diva en français) est un roman que j'ai écrit en arabe en 1995, mais il a été censuré dans le monde arabe en raison de sa thématique qui traite d'islamisme et de terrorisme. Je l'ai donc traduit moi-même vers le français et il sortira bientôt chez Actes Sud, en France, et juste après, en coédition en Algérie. Pour mon roman la Gardienne des ombres, le même scénario s'est répété mais, cette fois, je l'ai d'abord écrit en français, et c'est 5 ou 6 ans plus tard qu'il a paru en arabe. L'apport de la langue française a été très grand et m'a plusieurs fois sauvé la vie. S. K.