Lors de la campagne de l'élection présidentielle 2000, la question de la réforme de l'Etat en Algérie fut déclarée comme une priorité. Cette importance accordée à la question de la réforme de l'Etat n'est pas anodine : elle était censée inscrire le rôle et les fonctions de l'Etat dans une nouvelle ère qui donnerait lieu à engager les institutions dans la fin d'une période de transition longtemps décriée. C'était aussi une nécessité imposée par la reconfiguration de la donne politique, économique et sociale de la collectivité et qui exigeait de redéfinir le champ d'occupation de l'Etat, son organisation et la déclinaison de ses compétences et les règles de la conduite de son action. C'est dans cette perspective que le président Bouteflika a chargé le docteur Missoum Sbih de présider une commission nationale de réforme des missions de l'Etat. Les conclusions de cette commission globalement ont mis en exergue les défaillances d'une organisation administrative coûteuse, une présence territoriale inadaptée et une répartition des compétences avec des règles de fonctionnement inopérantes n'offrant pas la lisibilité nécessaire aux politiques publiques territoriales. Par conséquent, la commission a suggéré dans son rapport de revoir le découpage administratif, avec une redéfinition des champs de compétences territoriales et une modification dans l'exercice de la représentation politique. Pour cela, une dose de déconcentration du pouvoir central est vivement préconisée faisant de la mise en valeur des spécificités régionales un élément structurel d'une présence de l'Etat mieux adaptée à des territoires qui présentent des facteurs plus homogènes. Il est néanmoins important de signaler que la production de ce rapport et ses préconisations furent élaborées sous la pression d'une crise économique d'un pays devenu incapable de se doter des ressources nécessaires qui lui permettraient d'assurer une présence effective à l'échelle nationale. La volatilité des ressources et la limite des dotations financières procurées par un cours de pétrole relativement bas étaient loin de pouvoir limiter une vacuité territoriale d'un Etat qui aspirait à incarner une présence sur l'ensemble d'un territoire symétriquement large à ses moyens. L'augmentation des cours du pétrole a eu comme principale conséquence un revirement dans l'agenda présidentiel : faisant de la réforme de l'Etat non plus une priorité susceptible de procurer à ce dernier les moyens de son action et une meilleure capacité de gestion de ses ressources, mais plutôt une échéance qui résulte d'un accroissement des ressources financières inhérent à l'explosion des cours du pétrole, dont la portée de l'approfondissement de la réforme fut limitée en achetant la paix sociale au prix de milliards impertinemment investis et désastreusement gérés. Conséquence de l'incongruité d'un tel choix : la réforme de l'Etat a été reportée alors qu'un plan de relance de l'ordre de 200 milliards de dollars fut adopté. Dopée par des cours de pétrole qui ne cessent de grimper, la mise en œuvre de ce plan a, une autre fois, révélé au jour une administration incapable de gérer un tel plan constitué d'une masse financière aussi colossale. Des défaillances flagrantes dans la conduite de projets au prix de milliards gâchés et d'une perte de temps et de ressources incalculables. Tout cela s'est déroulé sous l'impulsion d'une budgétisation dopée par un cours de pétrole en constante évolution, poussant à des réévaluations successives de nombreux projets jusqu'à atteindre, à ce jour, plus de 250 milliards de dollars. De cette expérience, les pouvoirs publics semblent prendre conscience du niveau d'affaiblissement des capacités de gouvernance, de la gravité des carences dans le choix, la conception et la conduite des projets qui a donné lieu à une perte de ressources très importantes. De même que le report de cette réforme a davantage accentué la méconnaissance de l'environnement auquel est destiné l'effort de développement de l'Etat. Elle a, par ailleurs, entretenu des méthodes de gestion héritées d'une époque révolue initiées et pratiquées dans un environnement caractérisé par une dynamique de changement en constante évolution. Par conséquent, le gouvernement fait face aujourd'hui à une nouvelle équation qu'il a tenté d'ignorer, à savoir que la vitesse des développements économique et social est beaucoup plus rapide que la croissance des capacités administratives et institutionnelles du pays. Une situation qui tend à s'aggraver lorsqu'elle se conjugue au déficit d'encadrement, rendant ainsi inopérante toute politique de développement. Ce déficit institutionnel et managérial est devenu aujourd'hui un obstacle insurmontable, si l'Algérie ne fait pas le choix d'une réforme de l'Etat audacieuse, à la lumière de ce qui a été fait dans les pays de l'OCDE qui ont vu leur modèle étatique s'éroder face aux implications sociales, économiques et politiques de la globalisation. Cette réforme est d'autant plus vitale qu'elle doit déboucher sur une nouvelle approche dans la conduite des politiques publiques. Se résigner ou la reporter, c'est faire le choix d'une irresponsabilité compromettante susceptible de mettre en péril l'avenir de toute une population en la plongeant dans un cycle de violence aux conséquences incertaines. L. I. (*) manager de projets